Rembobinez #5

Le Grand Silence

Le western spaghetti ça vous parle ? Il s’agit de westerns produits massivement en Italie, et pas forcément en italien, et apparaissent au début des années 60. Tournés dans les étendues désertiques espagnoles, dans les montagnes italiennes ou dans les prolifiques studios de la Cinecitta, ces westerns italiens recréent le grand ouest américain. Seulement, ils se différencient de leurs inspirations américaines par leur traitement. Plus question de glorifier la grande Amérique et ses héros. Ils reprennent les archétypes des personnages de western pour en faire ressortir toute la cruauté, le machisme et la violence sur laquelle s’est construit l’Amérique. On vous conseille aujourd’hui un western spaghetti qui a marqué l’histoire du cinéma et est resté trop confidentiel : “Le Grand Silence” de Sergio Corbucci sorti en 1968.

Source : Photo Caption

Généralement quand on pense western spaghetti on pense au maître du genre, Sergio Leone. C’est en effet par ses films que beaucoup ont découvert l’univers du western, encore aujourd’hui “Le Bon, La Brute et Le Truand” et “Il était une fois dans l’ouest” sont sûrement les deux westerns les plus cités. Et pourtant ce ne sont donc pas des westerns mais bien des westerns spaghettis ! Et là vous vous rendez compte que vous n’avez quasiment pas vu de western et que tous ces films avec Clint Eastwood que vous imaginiez américain ont en fait été réalisés à deux pas de chez vous. 

Nous allons parler aujourd’hui d’un film d’un autre Sergio qui a livré lui aussi quelques classiques du genre, Sergio… Corbucci. Il réalise plusieurs chefs-d’œuvre dont “Django” (1966) puis, un an après, “Le Grand Silence “. Tellement ancré dans l’histoire du cinéma, le personnage de Django, héros du film éponyme, donne lieu à un tas de reprises et suites non-officielles dont la dernière en date n’est autre que “Django Unchained” réalisé par un certain Tarantino. Ce qui est sûr c’est que Tarantino a aussi vu “Le Grand Silence” déjà parce qu’il a tout vu, mais surtout car il est difficile de ne pas faire le lien avec ses « huit salopards ». L’ouverture du film de Tarantino semble étrangement inspirée par la scène centrale du “Grand Silence” qui cloître nos personnages principaux dans une calèche au milieu de la neige. 

Source : Wikipedia

Cette neige est ce qui fait le sel de ce film, sa puissance visuelle. On retrouve en effet de grandes étendues enneigées dans la chaîne de montagnes des Dolomites (qui est censée représenter l’Utah). Le désert de sable a laissé place au désert de neige, tout aussi dangereux et inconfortable, mettant nos personnages en position de survie immédiate. On sent la difficulté jusque dans les moindres déplacements, les pieds s’enfoncent dans la neige, les chevaux ont du mal à avancer et manquent souvent de tomber. Enfin le rouge sang ressort merveilleusement bien sur ses sols blancs, et ça tombe bien car ici la violence est au centre du récit (bien que Corbucci n’utilise pas autant de faux sang que le Quentin dont nous parlions plus haut).

Source : IMDB

Enjeux simples pour personnages complexes, voici la force de ce récit. Jean Louis Trintignant y tient le rôle de Silence, un tueur à gages muet engagé par une veuve pour venger son mari tué sous ses yeux par Tigrero, un chasseur de primes interprété par Klaus Kinski. Silence est donc un hors la loi, cependant il la contourne en laissant toujours son ennemi tirer en premier afin d’agir en légitime défense. Tigrero, lui, ce fait main armée de ladite loi, sa soif de meurtre est nourrie par celle-ci et par cet horrible personnage, Pollicut, qui établi les mises à prix comme s’il jouait au loto.

On voit bien que la question de la légitimité de tuer est posée rien qu’en caractérisant ces personnages. Ici la loi est plus cruelle que les hommes. Cela remet bien évidemment en cause le grand héros américain qui règle ses problèmes en tirant à tout va. Le réalisateur va essayer de réparer les failles de ce système américain en invoquant un nouveau shérif en ville, interprété par Frank Wolff. Comprenant les vices de Tigrero, il va tenter de le freiner, lui l’intouchable, quitte à prendre parti pour le paria muet qu’est Silence. Cependant la tâche est trop lourde pour un seul homme, surtout aussi naïf. 

Source : Loving Movies

Ce qui marque dans ce film, ce qui reste après la séance, c’est son pessimisme profond. On a rarement vu des personnages patauger autant pour s’en sortir, en vain, emportés par un courant trop grand pour eux. La loi du plus fort semble immuable pour Corbucci, on aura beau faire ce qu’on veut, elle ne peut disparaître de l’humain. C’est ce pessimisme qui fait toute l’originalité de ce western spaghetti. Un genre qui, même avec le cynisme que nous avons décrit, finit souvent par racheter ses personnages. 

Avec un final grandiose, des personnages complexes, des décors sublimes, il n’est pas étonnant de voir que ce film a inspiré énormément de cinéastes. Un grand classique facile à regarder et qui n’a pas pris une ride du haut de ses 53 ans.

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