Boxe / Cinéma : Pourquoi la boxe a les meilleurs films de sport ?

En mars 2023, le troisième opus de Creed, spin-off de la saga Rocky a réalisé le meilleur démarrage de la saga et le meilleur pour un film de sport avec une recette de plus de 100 millions de dollars. Comment expliquer cet engouement autour des films de boxe, alors que ce sport ne fait pas partie des sports les plus regardés chaque année ? Présentation de quelques éléments de réponse dans cet article 

Le storytelling : David contre Goliath 

Entre drame social et identification

Dans l’histoire du sport, le public a souvent préféré se ranger du côté de l’outsider, qui est défini par le Larousse comme “ Concurrent dont les chances de remporter une compétition sont réduites, mais non négligeables (par opposition à favori) “. Le supporter a toujours plus de saveur lorsqu’il gagne face au favori. Cet attrait pour l’outsider provient du livre le plus vendu au monde : La Bible, avec l’histoire de David contre Goliath dans laquelle le premier, jeune adolescent abat à l’aide d’une fronde le second, qui est un géant. 

Crédit photo : blogs.timesofisrael.com

Ce côté outsider est un des éléments majeurs de chaque film de boxe. Au début de l’histoire, le boxeur fait face à de nombreux problèmes. Une gloire déchue comme dans La rage au Ventre, l’absence d’un père à l’instar de Creed, ou un manque pécunier dans Raging bull. Ces difficultés permettent de s’attacher au personnage principal. Certains y voient dans ce choix un ressort scénaristique, d’autres un ressort d’identification sociale par le réel ; la vérité se trouve sûrement entre les deux. 

La Sociologie est un sport de combat “

Bourdieu

La boxe devient un prétexte, elle est relayée au second plan. Selon Le Monde, les scènes de boxe représentent moins de 20% de la durée totale de chaque film Rocky. Les films de boxe se concentrent avant tout sur les relations entre les personnages et l’évolution du boxeur jusqu’à ce qu’il devienne un véritable héros. 

Film de classe 

Les films de boxe mettent souvent en avant des profils issus de la classe populaire. Rocky en est le meilleur exemple. Il vit dans des conditions assez précaires, survit financièrement grâce à quelques petits combats et ses récoltes d’argent pour l’usurier Tony Gazzo. Néanmoins dans ces mêmes films, on y voit un phénomène totalement opposé à celui décrit précédemment : celui de transfuge de classe à l’image de Rocky II : la Revanche

Les « transfuges de classe » suscitent la fascination du public, des médias et du milieu artistique depuis une dizaine d’années. Le concept, popularisé par la sociologue Chantal Jaquet, désigne ces individus ayant vécu un changement radical de milieu social au cours de leur vie. 

Florence Pitard, Ouest France, 2023

Cet attrait pour le prolétariat dans les réalisations de boxe est à mettre en parallèle avec le travail manuel qu’opèrent les classes défavorisées. Un travail qui demande une répétition des gestes, qui se sert du corps comme un outil de travail ; tout comme la boxe. 

Priyanka Chopra / Crédit photo : Mary Kom Film

Reflet de son époque 

La saga Rocky demeure un merveilleux outil pour comprendre l’évolution de l’Amérique. Elle reflète à merveille son époque. Au début, c’est une Amérique en proie aux difficultés économiques, qui va progressivement retrouver son allant. Rocky IV a marqué le public par cette inscription viscérale dans le contexte historique de son époque. Ici, le personnage de Sylvester Stallone combat en 1985, soit en pleine guerre froide le boxeur de l’URSS Ivan Drago. 

Ce film a fait parler à l’époque pour son côté manichéen du traitement du conflit entre les deux superpuissances. Désormais la saga Rocky parle du personnage d’Adonis Creed, un noir américain avec les films Creed, d’autres problémiques sociales sont mis en exergue pour parler à un autre public. Plus qu’un simple film de sport, les films de boxe s’apparentent davantage à des drames sociaux en reflétant leur époque. 

Immersion dans le sport magnifié 

Lorsqu’on finit de voir un film de boxe, de nombreux sentiments jaillissent. Après avoir observé un boxeur allait au bout de ses capacités mentales et physiques pour atteindre ses objectifs, on est pris par une motivation titanesque, comme si ce boxeur nous avait transmis sa motivation. Les films de boxe ont cette capacité de transcender leurs spectateurs à tel point que par phénomène d’identification ou de mimétisme, ils se prennent pour Rocky ou Creed.  

Sport comme icône de pop culture  

Dans le septième art, les films de boxe ont réussi à iconiser leur sport. Chaque parcelle de la vie du boxeur est présentée, l’immersion est totale à tel point qu’on se croirait dans un documentaire romancé. À travers l’entraînement intensif des personnages principaux, ce sont toutes les valeurs de la boxe qui sont étalées : la persévérance, la résilience, le courage, le dépassement de soi, l’humilité, etc… 

“ Rocky, je pense  que ¾ des boxeurs ont commencé la boxe après avoir vu le film. Ça a été un moteur de motivation incroyable. Il a montré l’entraînement à la dure “

Raphaël Tronché, ex-champion d’Europe France de boxe (poids lourds)au micro de GQ le 8 janvier de 2023 

Ces scènes d’entraînement sont mythiques. De nombreuses ont marqué la pop culture notamment celle de Rocky où il enchaîne des pompes à une main, une série de coups contre de la viande et un jogging pour terminer les poings levés au-dessus des marches du musée d’art de Philadelphie. D’autres ont aussi, certes à un moindre échelle comme dans Real Steel (2011) où le robot Atom imite à la perfection le combo d’Hugh Jackman ou encore plus récemment avec Creed 2 où Adonis subit un rude entraînement auprès de Rocky dans le désert

Relation boxeur / coach  

On dit souvent que derrière chaque grand homme il y a une femme ; en sport derrière chaque grand sportif il y a un grand coach. Nombreux sont les exemples en boxe : Mike Tyson & Cus D’Amato, Mohammed Ali & Angelo Dundee, Manny Pacquiao & Freddie Roach. 

“ C’est l’osmose entre l’athlète et son coach. Ton coach, tu le vois plus que ta femme ou tes enfants donc lorsqu’il te parle, tu l’écoutes aveuglément. “

Raphaël Tronché, ex-champion d’Europe France de boxe (poids lourds) au micro de GQ le 8 janvier de 2023 

Les films de boxe reproduisent ce schéma pour coller à la réalité et pousser encore plus l’immersion. Dedans, la relation boxeur / coach est magnifiée. Le coach pousse son athlète à bout de ses limites, lui remet les idées en place quand il dérape, lui donne des conseils pendant ses minutes de récupération, etc… Il est tellement impliqué dans la vie de son boxeur que “ Certains entraîneurs s’identifient tellement à leurs athlètes durant leurs combats, qu’ils croiraient ressentir les punchs des opposants sur leur propre corps “. 

Mark Wahlberg et Christian Bale dans Fighter / Crédit photo : Little white lies

Des films comme Fighter et Million Dollar Baby symbolisent parfaitement cette relation boxeur / coach. Ces relations ne sont pas linéaires. Le point de départ est sportif mais le rapport devient plus personnel au fil du film. Parfois, le coach devient un coach de vie ou se substitue au parent. À travers ces relations, c’est tout l’éco-système et le quotidien qui sont montrés pour plonger au mieux le spectateur dans l’intimité du boxeur.

Quotidien d’un boxeur

La force des films de boxe réside dans l’immersion qu’elle donne au public. Aucun détail n’est omis. Tout le quotidien du boxeur est mis à nu : la vie de famille, les problèmes financiers, l’entraînement, le monde de la boxe professionnelle, les rivalités, les combats, etc… 

“ La rage au ventre donne plus qu’un simple spectacle divertissant de boxe, mais démontre toute la difficulté du business du sport couplé à des fondations sociales bancales. Tout peut s’effondrer et la rage au ventre permet de revenir et récupérer ce qui a été “ perdu “, en grandissant, devenant plus sage, ressaisissant l’esprit pour remettre les responsabilités au centre du débat. “

Mathieu Zemp, coach de boxe à Genève

Les films collent à la réalité. Ils s’apparentent même à un documentaire romancé, surtout lors des scènes de combat et d’entraînement avec leur caractère spectaculaire comme le sang déversé dans Raging Bull ou Michael B Jordan tirant un avion avec une corde.

Les combats ajoutent aussi une mythologie au film de boxe. La caméra les filme de très près pour renforcer l’immersion. Toute la tension du combat se ressent, que ça soit dans l’animosité entre les boxeurs ou les coups  puissants qu’ils se rendent

Des films mythiques 

Rocky 

La saga la plus mythique du genre, elle a donné son premier succès critique et commercial (225 millions de recettes, 3 victoires au Oscar) au genre en 1976. Le film raconte l’histoire de la vie d’un boxeur de seconde zone, Rocky Balboa affrontant le champion invaincu des poids lourds, Apollo Creed. Interprété par Sylvester Stallone, le personnage émeut par son abnégation à toute épreuve. Il est un battant sur et hors du ring. L’objectif pour l’étalon italien demeure de tenir la distance face au champion Creed pour prouver qu’il n’est pas un raté. 

Sylvester Stallone dans Rocky / Crédit photo : Welt

Le scénario du premier film de la saga Rocky puise son inspiration dans deux réalités : celle de son auteur, Sylvester Stallone, considéré jusqu’alors comme un loser ; et celle du combat entre Mohammed Ali et Chuck Wepner, boxeur inconnu qui a pratiquement fait vaciller l’icone de la boxe en 1975.

Dans Rocky, tout semble mythique, des entraînements galvanisants à la célèbre bande originale “ Gonna fly now “. Cette production recense tout ce qui fait un bon film de boxe. Surfant sur le succès du premier film, Stallone va créer une véritable saga par la suite avec pas moins de 8 films au total, dont 3 films de la saga spin-off : Creed, suivant les pas d’Adonis Creed, fils d’Apollo Creed. 

Million Dollar Baby

Les films de boxe dépeignent la plupart du temps la vie de boxeur masculin, Million Dollar Baby prend le contre-pied et se focalise sur la rencontre entre Margaret « Maggie » Fitzgerald, une boxeuse âgée d’une trentaine d’années et Frankie, ancien entraîneur de boxe. Possédant de réelles qualités de puncheuse, Maggie va chercher par tous les moyens d’impressionner son coach. D’abord réticent, Frankie se laisse finalement convaincre grâce au talent et la hargne de Maggie, de là naîtra une belle amitié. 

Million Dollar Baby - Film online på Viaplay
Clint Eastwood et Hillary Swank dans Million Dollar Baby / Crédit photo : Viaplay

Million Dollar Baby est une adaptation sortie en 2004 de la nouvelle La Fille à un million de dollars de F. X. Toole. Le film réalisé par Clint Eastwood, qui interprète Frankie, a eu un véritable succès critique. Il reçoit 4 Oscars : celui du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure actrice pour Hilary Swank et du meilleur acteur dans un second rôle pour Morgan Freeman, en 2005.

Ali

Quand on parle de boxe, il est impossible de ne pas nommer Mohammed Ali, figure emblématique de son sport, il en a dépassé les frontières en s’affirmant comme une icone culturelle par ses prises de parole politiques et religieuses fortes. Mettre à l’écran le destin d’un homme aux milles vies demeure une mission périlleuse. C’est tout l’enjeu du film Ali, sorti en 2002 et réalisé par Michael Mann. Ce dernier va prendre le parti pris de se concentrer seulement sur une partie de la vie du champion, celle entre sa victoire historique sur le champion du monde Sonny Liston en 1964 jusqu’au combat contre George Foreman en 1974 à Kinshasa, The Rumble in the Jungle. 

Will Smith Preps for Half Marathon on 'Bucket List' Facebook Watch Show
Will Smith dans Ali / Crédit photo : Men’s Health

Sur cette période de 10 ans, la réalisation se concentre aussi bien sur l’aspect sportif de la vie d’Ali que sur l’aspect religieux auprès de la Nation of Islam et de Malcom X. Un film culte pour un destin mythique, ici Ali est incarné par un Will Smith ultra impliqué. Cette performance lui vaudra une nomination pour l’oscar du meilleur acteur en 2002. 

Raging bull

Scorsese à la réalisation, De Niro dans le premier rôle ; une combinaison mythique du cinéma. Pour leur troisième collaboration, Scorsese dépeint la carrière du champion de boxe poids moyen Jack La Motta interprété par De Niro. Le film retranscrit l’esprit de la boxe des années 1940 grâce à des combats contre des légendes du sport Sugar Ray Robinson ou Marcel Cerdan. Il met aussi en avant la difficulté de jongler entre sa vie de famille et celle de boxeur pour le colérique La Motta.

Revisiting the Violence and Style of Martin Scorsese's “Raging Bull” | The  New Yorker
Robert De Niro dans Raging Bull / The New Yorker

La réalisation bénéficie des performances mythiques de Joe Pesci et de Robert De Niro, qui réussira à glaner un Oscar du premier rôle masculin après la sortie de Raging Bull. De plus, le film est tourné en noir et blanc, un parti pris intéressant à un moment où pratiquement tous les films étaient en couleur.

Une hégémonie 

Face aux autres sports ? 

Face à cette présentation de la boxe comme sport roi des films de sport, on aurait facilement tendance à omettre les autres sports, comme s’ils avaient éclipsé par cette suprématie. Néanmoins d’autres disciplines jouissent aussi de classiques à l’échelle de la critique cinématographique ou du cœur du public comme Space Jam avec Michael Jordan (basket), Joue la comme Beckham de Gurinder Chadha (football), Invictus avec Morgan Freeman (rugby), L’enfer du dimanche avec Al Pacino (football américain), Karaté Kid (arts martiaux). Les exemples sont présents dans chaque sport. 

Space Jam (1996) - IMDb
Space Jam / Crédit photo : IMdb

Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, seulement quelques films de chaque discipline ont réussi à rentrer pleinement dans la culture populaire, contrairement à la boxe qui en déborde. Hormis les sports de voiture (18) bien aidés par la saga Fast and Furious, aucun autre sport que la boxe (avec 10 apparitions dont 8 pour la seule saga Rocky) n’est autant représenté dans le classement des recettes les plus élevées des films de sport

Côté public, le site français Senscritique a effectué un classement des meilleurs films de sport. Dans le top 25, près de 11 films de boxe sont présents, soit 44% ; et occupent le podium avec Rocky 1 en première position suivi de Million Dollar Baby, puis de Raging Bull. 

Toujours au top 

Le noble art a bénéficié d’excellents réalisateurs. La liste est longue : Clint Eastwood (Million Dollar Baby), Martin Scorsese (Raging Bull), Ryan Coogler (Creed), Charlie Chaplin (Charlot boxeur). Les acteurs ne sont pas en reste avec : Sylvester Stallone (Rocky), Mark Wahlberg (Fighter), Jake Gyllenhaal (La rage au ventre), Denzel Washington (Hurricane Carter). Le talent est présent des deux cotés du plateau de cinéma.

La Rage au ventre : retour sur la métamorphose de Jake Gyllenhaal -  CinéSérie
Jake Gyllenhaal (La rage au ventre) / Crédit photo : Cinésérie

Là où certains films de sport ont trépassé, la boxe a triomphé. Elle a réussi à toucher un large public par la qualité de ses films, des styles différents, des acteurs et des réalisateurs de renom. Ils ont transformé l’essai d’être plus que des films de sport.  

L’hégémonie des films de boxe dans les films de sport n’est pas prête de s’arrêter puisqu’une suite de la série Creed est déjà dans les tuyaux au vue du succès de l’attachement du public et des revenus commerciaux qu’engendrent la saga. 

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