Niro : Le stratège

Niro est actuellement en plein marathon avec ses EPs “Sale môme” qui sortent tous les mois, une occasion rêvée pour parler de lui. Qu’on se le dise Niro c’est le vrai stratège de ce rap jeu. Même s’il n’a jamais été la star qu’il aurait pu devenir, il impose le respect dans sa discipline. Avec une technique hors pair, des flow variés qui peuvent aller très vite et une façon de raconter la rue comme personne, il est vite devenu le rappeur préféré de ton rappeur préféré. Seulement tout au long de sa carrière on a pu sentir chez lui une envie de se dépasser, artistiquement mais aussi commercialement. Il désamorce par ailleurs ce statut de rappeur sous-côté en disant “Je suis pas sous-côté, je suis sur le côté”. Ainsi il a développé tout au long de sa carrière des stratégies marketing ultra innovantes autour de ses sorties d’albums.

Paraplégique – 2012

Street Lourd m’a trouvé, mash’Allah, c’est mon premier trophée

Mon premier skeud, ma première gifle, mon frère, ma première couvée

Avant d’sortir un CD j’ai déjà plus rien à prouver” 

Cette phrase sur “Que du vécu” résume très bien l’arrivée de Niro dans le rap, un rappeur rempli de vécu, sans concessions. Ultra énervé et violent, Niro n’a que 25 ans et a cette énergie du jeune prêt à défoncer toutes les portes. Cette rage de vaincre donne un artiste qui sait où il va, chose assez rare pour un premier album. 2012 oblige, quelques sons ont quand même un peu mal vieilli (l’hymne de rue sur l’air des ptit filous tubs à la fin de “Faut me laisser” et le refrain de Vitaa sur “rester soi même” par exemple). On voit assez vite le respect du game pour ce rappeur à la plume inégalable, avec quelques légendes en featuring sur cet opus : Lino, Rim’k, Seth Gueko, Dosseh.

Pour cet opus on commence avec une stratégie commerciale assez basique mais qui prouve l’ambition du monsieur. Une réédition collector sort 6 mois plus tard avec 11 nouveaux titres qui viennent compléter l’album. Bien que la stratégie de la réédition ne soit pas nouvelle, elle consistait souvent à ne rajouter qu’un ou deux inédits et quelques versions live. Une réédition avec 11 titres est rare à l’époque. Niro arrive avec un premier album et sa stratégie commerciale est déja à l’heure avec celle de Booba et son Futur 2.0 en 2013 ou encore Kaaris et son Or noir part 2 en 2014. Il fallait y penser.

Or game –  2016

4 ans ont passé avec 3 albums aux stratégies commerciales classiques, Niro est maintenant installé dans le rap game. Dans la nuit du 26 au 27 mai 2016 sort le 5ème album de Niro “Or game”. Ce jour-là, le rap français a pris une petite leçon de rap. Assez court et beaucoup plus condensé que la plupart de ses projets, c’est un album sans faute pour Niro qui garde une identité très sombre, sans aucune tentative de hit ou d’expérimentations qui peuvent parfois diviser sur ses projets.

Pas de feats sauf son acolyte Nino B, qui apparaîtra sur presque tous ses projets. La rage de Niro est toujours intacte mais a pris un virage plus mélancolique et cela va de plus en plus infuser dans sa musique à l’image de cette phrase dans “J’espère” :

J’ai bientôt 29 piges, j’m’en suis toujours pas tiré. J’espère pouvoir encore espérer, pouvoir respirer”.

Stratégie marketing très risquée pour cet album. En effet, il sort par surprise sans aucune promo, à l’image des albums de PNL et Nekfeu. Cependant c’est quand même plus simple de sortir “Cyborg” sans promo quand on a fait “Feu”. Nous sommes de plus à une époque où le streaming est installé mais n’a pas sa puissance actuelle. Niro est encore une fois assez précurseur avec cette stratégie qui planera sur le reste de sa discographie. Un rappeur discret qui ne court pas derrière les médias et préfère laisser parler sa musique.

OX7M8RE – 2017

OX7M8RE c’est la pièce maîtresse de la discographie de Niro. Sûrement son meilleur album, celui qui se prête le plus à la réécoute. Celui qui montre le mieux les différentes facettes de Niro. Des leçons de rap avec “Ambition” et “Omelette” par exemple, des sons plus mélancoliques comme “Sors de ma tête” et “Sans regrets” et des prises de risque réussies avec “Ghettoyouth” et “Photo de classe”.

Toujours pas de gros feats, il s’entoure des potes de son label, comme pour rester concentré sur son art. C’est d’ailleurs l’album qui semble le plus travaillé par le rappeur en termes de Direction Artistique, de cohérence puisqu’il arrive étrangement à garder le cap sur 26 titres, sans qu’on s’ennuie. Vous l’aurez compris, c’est l’album par lequel il faut commencer pour découvrir Niro. Petite poésie pour le plaisir :

On déclare notre flamme à la France, c’est le feu de l’amour dans l’cocktail Molotov”.

J’en parle depuis le début comme un seul et unique album mais la stratégie marketing est beaucoup plus complexe sur cet album. Il s’agit en réalité de deux albums distincts OX7 et M8RE, 7ème et 8ème album de l’artiste. Le 7 juillet il nous livre OX7, titre incompréhensible et superbe pochette sur laquelle on voit une blanche colombe. Quinze jours plus tard, le titre est complété par un deuxième album M8RE.

Cette fois-ci, les pattes de la colombe présentes sur la pochette tiennent une grenade. La stratégie du double album est bien connue, une pochette, deux disques, deux facettes d’un artiste. Seulement ici Niro joue avec cette stratégie, un double album oui, mais avec deux albums bien distincts et deux dates de sorties différentes. Quand l’album est de qualité, quel plaisir d’avoir une double dose par surprise deux semaines après.

Stupéfiant – 2020

Pour son 10ème album “Stupéfiant” Niro commence à se mélanger au rap game actuel. Bien sûr Niro est présent en feat, c’est un homme avec lequel tu as intérêt de préparer un bon couplet quand tu l’invites. Il invite pour la première fois le rap français actuel sur son propre projet, sûrement une volonté d’être un peu moins sur le côté. Il ramène des grosses pointures : Maes, SCH et Alonzo. Le streaming a profité au rap et aux rappeurs et ça se sent, Niro semble beaucoup plus serein, il s’en est sorti :

Au départ, j’ai pas l’avantage, heureusement qu’j’ai la mentale, J’suis devenu présentable depuis qu’le business est rentable”. Cela nous donne un très bon album qui s’essouffle un peu sur le dernier quart passé la première heure d’écoute de haute volée.

Niro a compris plus vite que tout le monde que le CD était mort. Et c’est avec le streaming qu’il pense la stratégie marketing très originale de cet album. Il divise son album en chapitres de 4 titres qu’il sort au fur et à mesure des semaines pour finalement obtenir l’album entier. L’écoute de cet album est donc très différente d’une écoute habituelle. Avec 4 nouveaux sons par semaine on écoute réellement tous les sons, on se concentre sur la musique, on en profite en prenant notre temps. C’est évidemment l’objectif de Niro avec cette stratégie, lui qui en a marre de cette course aux albums dans laquelle nous nous

Sale môme – 2020

11 ème et dernier album en date, il sera plus difficile de parler de “Sale môme” qui est encore en construction. Avec cet opus Niro mélange toutes les stratégies qu’il a expérimenté jusqu’ici. Il sort l’album par surprise le 9 juillet 2020, 20 titres assez peu organisés avec une étrange “Outro“au milieu de l’album et des sons qui ne semblent pas finis comme “Wari” qui s’arrête au début du couplet. Cela ressemble donc plus à une playlist qu’à un album, on y trouve des sons incroyables comme “Du temps et des loves” et d’autres sons très ratés comme “Paye” avec Maitre Gims. Il faut aller piocher.

À cet album s’ajoute maintenant depuis le 19 février 2021 un EP de 5 titres par mois pendant 9 mois. Une stratégie de longue durée qui va faire de cet album “Sale môme” un projet évolutif. À la fin de ces 9 mois on devrait donc finir avec un album de 65 titres, Gims et ces 56 titres n’ont qu’à bien se tenir. La musique évolue avec le streaming et sa consommation aussi, et ça Niro l’a bien compris. Nous verrons bien où cela va nous mener.

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