Rembobinez #3

Basic instinct (1992) de Paul Verhoeven

L’année 1992 c’est l’arrivée dans nos salles d’un certain Tarantino et son “Reservoirs Dogs”, un énième grand classique de Monsieur Eastwood décidément “Impitoyable”, la vision de Coppola sur le conte de “Dracula”. Mais c’est également l’année de “Basic Instinct” en top du box office France (4 615 342 entrées) pour ce qui deviendra un des films les plus rentables de sa décennie avec 352 Millions de dollars de recettes dans le monde pour un budget de 49 Millions de dollars.

Pour son dixième long métrage l’immense Paul Verhoeven s’attaque à un sujet qu’il affectionne tout particulièrement, la sexualité et ses pièges (on voit avec son dernier film “Elle” que ce sujet n’a pas fini de le nourrir). Et on peut le dire c’est la période dorée pour Verhoeven qui sort de deux petits films dont personne n’a jamais entendu parler “Robocop” et “Total Recall”. Autant dire qu’à cette période, lorsque le réalisateur néerlandais sort un film, on va le voir.

“Basic Instinct” raconte l’enquête du policier Nick Curran (Michael Douglas) sur le meurtre au pic à glace d’une Rockstar pendant un ébat sexuel. Au fur et à mesure de l’investigation, Nick est de plus en plus envoûté par la suspecte principale Catherine Trammel (Sharon Stone).

Ce film c’est l’art d’une narration maîtrisée à la perfection. Les informations, livrées au compte goutte, nous sont données avec un sens du rythme parfait. Dès qu’une certitude s’installe chez le spectateur celle-ci est détruite. La mise en scène accompagne parfaitement cette narration, notamment à l’aide de répétitions visuelles qui nous permettent de comprendre sans nous expliquer. On peut penser à l’interrogatoire de Nick, que l’on sait innocent, qui se déroule exactement de la même façon que celui de Catherine, qui peut donc elle aussi être supposément innocente. Mais là ou ses répétitions sont les plus intéressantes c’est sur les scènes de sexe, la première finit dans un bain de sang. Et toute les suivantes sont mise en scène exactement de la même façon, le bain de sang devient donc un symbole redondant et les scènes de sexe deviennent d’incroyable scènes de tension et de suspens. 

crédit photo : allociné

Tous ces éléments nous donnent un des plus grand polar de son temps avec cette enquête à plusieurs fonds. Des fois aussi il peut se rapprocher du film noir avec son détective un peu pourri et sa femme fatale. Ce qui est intéressant c’est qu’il est finalement plus généralement affilié au thriller érotique. Car porté par son succès il a relancé ce genre dans les années 90 (“Jade” de William Friedkin, “Crash” de David Cronenberg, “Eyes wide shut” de Stanley Kubrick) bien que celui-ci soit apparu dès les années 80 avec “Pulsions” de De Palma ou “Blue velvet” de David Lynch.

En effet l’érotisme est au centre de l’intrigue, il est beaucoup question de sexualité et de sa frontière avec la violence. Parfois le sexe mène au meurtre, toujours il plane au dessus du lit prêt à frapper. La relation sexuelle est toujours un jeu de tension, une corde raide qu’empruntent nos personnages qui testent leurs limites, se laissent dominés ou non, se placent en position de force ou de vulnérabilité. Nos personnages sont tous névrosés, parfois difficile à aimer. Rien n’y est manichéen, tous les personnages ont des zones d’ombres, des pulsions incontrôlables. Et c’est sûrement ce qui lui a valu une assez mauvaise presse à sa sortie, souvent qualifié de misogyne, pornographique et homophobe. Les fameux cahiers du cinéma écriront “Ce ramassis de fantasmes gras et poussiéreux donne le point de vue du film, celui du mâle moyen et de sa libido laborieuse et sans surprise.”. Il faudra quelques années de recul pour que le film soit réhabilité comme un classique et c’est souvent le cas chez Verhoeven qui a pour habitude de pondre des films chocs qui ne laissent pas indifférents, qu’il faut laisser mûrir pour mieux les comprendre. 

crédit photo : vanity fair

Le second aspect que le film explore est la frontière entre fiction et réalité, en effet le meurtre sur lequel Nick enquête s’avère être l’exact réplique d’une scène d’un livre de Catherine Tramel, ce qui en fait la principale suspecte. Il repose donc la question que se pose tout auteur, écrire quelque chose que l’on ne cautionne pas peut il pousser le public à l’accepter ? En est il de la responsabilité de l’auteur si le public réutilise une oeuvre à d’horribles fins ? On a pu se poser ses questions avec la littérature et maintenant elle se pose avec le cinéma, est ce la violence et le nihilisme d’un personnage comme le Joker qui pousse quelqu’un à venir fusiller des gens dans un cinéma ?

Si ses questions vous intéressent il est recommandé de lire l’incroyable “Travail soigné” de Pierre Lemaitre qui s’est forcément inspiré de ce film. Il raconte l’histoire du commissaire Camille Verhoeven (tiens donc) à la poursuite d’un tueur en série qui reproduit les crimes des plus grands polars de la littérature. Impossible de décrocher de ce livre, fascinant et incroyablement surprenant.

L’ironie du sort c’est que Basic Instinct aura lui aussi inspiré d’horribles crimes. En effet le tristement célèbre Luka Rocco Magnotta, le cannibale canadien, s’est inspiré du film pour son meurtre. Il tue avec un pic à glace, prend le pseudo de Katherine Trammell sur plusieurs forums sur lesquels il poste la vidéo de son crime et cite une réplique du film dans une lettre glaçante qu’il adresse au journal “Sun”.

Ce film est donc incroyablement fascinant par son sujet polémique, ses personnages névrosés, son rythme tenu et entraînant. C’est un film qui ne laisse pas indifférent, qui a déchainé les foules pour le meilleur et pour le pire.

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