Rembobinez #1

Le masque de la mort rouge (1964) de Roger Corman

Confinement neurasthénique

En des temps mortifères, il est des façons plus agréables que d’autres d’appréhender les épreuves. Faire face aux problèmes ou détourner le regard, voilà la dichotomie auquel nous sommes confrontés régulièrement. Mais il existe une troisième voie, celle qui réconcilie les deux autres. Cette voie emprunte un chemin bien particulier, celui de l’art. Car si l’Homme a créé l’art – ou l’inverse – c’est autant pour se divertir que s’interroger sur sa propre place dans les cieux, sur terre et dans nos sociétés. Parfois, pour sonder nos interrogations on plonge dans les peintures, dans les livres, dans les films afin d’espérer trouver ne serait-ce qu’une petite part de réponse à nos interrogations.

Alors, quand les stades se sont emballés et ont défilé au nombre d’un, deux et trois ; quand le confinement lié au Coronavirus a été déclenché ; quand les polémiques ont succédé, au lieu de se pencher à son balcon pour observer, je me suis installé sur mon divan et ait lancé Le Masque de la Mort Rouge de Roger Corman. Bien loin de n’être qu’une énième adaptation d’Edgar Allan Poe, c’est l’adaptation. Celle qui réussit à peu près là ou toutes les autres échouent puisque Roger Corman arrive à y insuffler une touche d’humanité qui manque parfois cruellement chez notre cher Poe.

Vincent Price incarne Prospéro dans le film, un noble arrogant et cruel qui malmène les villageois, alors même que la peste frappe à sa porte. Pour éloigner la mort, ne plus y penser, il se cloitre alors dans son domaine, avec d’autres nobles, organisant des fêtes aux allures grand-guignolesques et laissant les villageois mourir chez eux, un à un. Prospéro pensait le divertissement salvateur pour lui et ses convives, mais rapidement il se rend compte que la mort, incarnée par la peste n’a que faire des apparats, des bijoux et de l’or. Elle touche tout un chacun, noble ou villageois, riche ou pauvre. Alors, dans une esthétique gothique saturée de rouge écarlate qui inspirera plus tard les giallos, les hommes meurent pour laisser place aux cavaliers de l’apocalypse.

Peu réjouissant au vu des évènements et moins efficace qu’un dîner mondain pour se changer les idées, le film n’en demeure pas moins un singulier prisme par lequel observer notre situation actuelle. Confinés entre quatre murs, c’est bien la seule chose à faire, de toute façon. Enfin, quand on en a la chance. Voyez-vous, ce virus est plus vicieux que virulent. Moins égalitaire que la Mort Rouge, il s’attaque avec davantage d’acharnement sur des générations plutôt que d’autres. Mais surtout, selon le gouvernement, certains visiblement ne risquent rien à travailler quand d’autres sont confinés.

Entre Amazon qui refuse d’appliquer des règles d’hygiène strictes dans ses entrepôts de logistique et assure que ses employés ne risquent rien, les tests pour détecter le coronavirus qui semblent bien plus accessibles à nos élites qu’au peuple, les aides-soignants débordés qui ne possèdent pas de matériel adéquat ou encore les cliniques privées qui implorent elles-mêmes au gouvernement de les réquisitionner, on ne peut que constater. La mort, toute rouge ou virale qu’elle soit n’enraye jamais la lutte des classes. Alors quand on entend Olivier Véran le visage morne prononcer que la situation est égalitaire pour tous puisqu’il est lui-même confiné dans son ministère, on sourit. Puis, nous-mêmes enfermés, à regarder des films, on se demande s’il n’y a pas une part de Prospéro en nous. Les applaudissements réglés sur l’horloge à 20h dans nos quartiers résonnant comme une danse macabre au doux nom de solidarité nationale. Comme le dit si bien Léon Bloy « On a toujours assez de force pour supporter les peines d’autrui. » Espérons simplement qu’autrui puisse supporter les siennes.

M.R

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