Table ronde #1 : Ninho – M.I.L.S. 3.0

Régulièrement, la rédaction de Notes Urbaines se réunit pour discuter  autour d’un sujet de l’actualité musicale. Première Table ronde sur la mixtape de Ninho, MILS 3 sorti le 7 mars 2020. Au menu : les avis sur le projet, la place de Ninho dans le paysage rapologique français ainsi que son avenir.

Ça va faire maintenant deux semaines que le projet Mils 3 est sorti…Quel est votre ressenti général sur la qualité du projet ? En quelques mots seulement. 

Hugo : Ninho nous montre encore une fois l’étendue de son talent et ça semble à chaque projet un peu plus facile. Assez peu entouré il arrive à nous montrer un large panel de ce qu’est le son Ninho aujourd’hui.

Claudar :  Bon projet mais il me manque un truc. 

Jarod : Ça reste du Ninho il est fort dans ce qu’il fait mais j’en attendais plus et j’en suis ressorti déçu. 

“Il manque un truc”…”j’en attendais plus”…Avant la sortie du projet qu’est ce que vous espériez de la mixtape ? Quelles sont vos éventuelles déceptions ? Vos surprises ? 

Claudar : J’étais déçu par le manque de variété des chansons et des prod, c’est du Ninho classique en amélioré par rapport à Destin 

Jarod : Je rejoins Claudar sur le manque de variété dans la mixtape avec les prods et le flow mais aussi son obstination à répéter plusieurs fois les premières phrases du son dans une majorité de ses musiques, j’attendais plus d’expérimentations de sa part dans une mixtape, qu’il explore des domaines inconnus au niveau du flow ou des instrus. 

Hugo : Tout d’abord je trouve ça assez bizarre de parler de manque de variété entre les musiques, entre “Lettre à une femme” et “Intro” le grand écart est assez considérable. Ensuite l’horizon d’attente que vous vous êtes fixé est très élevé alors que l’on parle bien là d’une mixtape, de plus c’est une suite des deux premiers opus et elle vient donc se placer dans une continuité. Pour moi, le pari est réussi avec encore de grands tubes et des couplets forts. C’est une mixtape qui vient parfaitement compléter un cycle qu’il avait mis en place avec le premier MILS.

Du coup vous êtes divisés entre facilité et continuité… Est-ce que Ninho aurait un souci à se réinventer ? Et d’un point de vue plus général, est ce que la surproductivité musicale de ce genre d’artiste est un risque à ce niveau là ?

Jarod : Je ne pense pas que Ninho ait du mal à se réinventer, je pense plus que sa surproductivité le contraint à se reposer sur ses acquis alors qu’il pourrait se renouveler sans aucun problème, surtout quand tu vois ses plus gros tubes, qui sont aussi diversifiés les uns que les autres (Mamacita, Maman ne le sait pas, Un poco, et j’en passe beaucoup d’autres). Je pense qu’un temps sans trop sortir de projet et se concentrer sur de nouvelles approches musicales pour lui serait bénéfique à la suite de sa carrière si il ne veut pas stagner, voire même chuter. 

Hugo : Tu peux rajouter “Lettre à une femme” à ta liste de tubes car c’en est un. Ensuite il me semble qu’il a prouvé qu’il pouvait se fondre dans n’importe quel univers et par conséquent se renouveler. Encore une fois il s’agit pour moi surtout de ce qu’on attend d’un artiste, prenons l’exemple de Jul, il est encore plus productif que Ninho et il peut présenter un panel un peu moins large de sonorités et en réalité il se renouvelle assez peu. Mais personne n’irait dire que Jul tourne en rond car tout le monde a assimilé qu’il resterait dans le paysage du rap francais pendant un bout de temps et qu’il lui avait déjà assez apporté pour lui reprocher de ne pas se renouveler. Il serait temps de considérer Ninho de la même façon.

 Claudar : Ninho est un très bon rappeur mais un artiste moyen. Il a deux styles : kickage et zumba. Les seules fois où il change de registre, vous remarquerez qu’il est souvent en feat (Maman ne le sait pas, Tell Me, Elle est bonne sa mère). J’ai l’impression qu’à chaque projet, il remplit un cahier des charges : Un son kické pour la street, un son mielleux  pour les meufs, un son afro, un son pour les clubs, etc… Je ne pense pas qu’il soit capable de se renouveler lui-même, il a besoin d’être mieux épaulé. 

Historiquement, la trajectoire d’un artiste musical devait constamment évoluer et chaque album dévoilait quelque chose de nouveau. La consommation de la musique n’est plus la même aujourd’hui, la fonction de l’artiste s’est-elle retrouvée modifiée également ?

Claudar : Si un artiste du niveau de Ninho ne prend aucun risque, il ne sert pas à grand chose. Booba qui est une des inspirations de Ninho et du rap fr en général, a toujours cherché à proposer de nouvelles choses parfois avec succès (Validé, DKR) mais souvent avec échec (l’album 0.9 et certains sons sur DUC) mais c’est ce qui crée sa légende et a fait évoluer le game. Aujourd’hui les artistes sont beaucoup plus libres artistiquement car le public est plus ouvert. Le rap a beaucoup évolué sur ce point là.

Jarod : Je tiens à ajouter à cet argument que la consommation de musique de nos jours est très intéressante parce qu’elle permet aux artistes de choisir deux types de catégories : soit être une machine à tube et faire des énormes projets tous les 6 mois pour rassasier les fans en musique, à leurs risques et périls (comme Jul ou NI) ou alors attendre plus d’un an pour faire un projet bien travaillé et réfléchi comme Dinos ou Laylow qui se concentrent plus sur la construction d’une histoire à travers leurs albums. C’est une bonne chose en tant qu’auditeur d’avoir un large choix entre ces deux types d’artistes parce qu’on est jamais trop dans l’attente d’un projet. Le seul problème c’est qu’on devient plus affamé de musique et que notre capacité d’attente se voit réduite et nos critères augmentés.

Hugo : Je te rejoins sur cette idée de capacité d’attente réduite. Et cela amène un deuxième phénomène, nous ne laissons plus le temps aux artistes d’évoluer. Ninho est encore un artiste très jeune avec seulement deux albums à son actif. Ton exemple de Booba est très bon Claudar mais regarde l’évolution entre Temps Mort et Panthéon, le deuxième est clairement une redite du premier en moins bien, ce n’est qu’après plusieurs années que Booba a évolué et il l’a fait assez progressivement. Les mixtapes en streaming permettent à l’artiste de se créer un public qui suivra pour les albums qui sont, eux, plus travaillés, comme l’était Destin il me semble. Et c’est totalement la fonction de MILS 3, faire attendre son public affamé qui en réclame toujours plus pendant qu’il prépare un album qui répondra cette fois ci vraiment à notre question de renouvellement. On attends plus qu’un Destin bis pour ce prochain opus.

Claudar : 2 albums et 3 mixtapes donc 5 projets au total, 1 par an, et une surexposition de Ninho par beaucoup de feats. S’il avait vraiment voulu se renouveler je crois qu’il l’aurait déjá fait. Après je pense que t’as pas besoin d’être tout le temps présent pour avoir un public. PNL et Nekfeu en étaient les meilleurs exemples en 2019 après 2, 3 ans d’absence. À l’artiste de proposer et le public s’adaptera. 

On a parlé du prochain projet de Ninho. Personnellement, qu’est-ce que vous attendez de celui-ci ?

Jarod : Un renouvellement simplement et s’il peut faire un storytelling sur tout son album ce serait magique. Il est capable de faire un projet qui pourrait figurer facile dans les classiques du rap FR s’il s’en donne les moyens. 

Claudar : J’attends rien spécialement de lui, je sens le destin 2.0 arriver. En tout cas il faut qu’il prenne son temps, faire peut-être un album plus court (10-12 tires) avec un fil conducteur. 

Hugo : Comme le dit Jarod et comme l’a dit Ninho lui même, il faudra qu’il arrive à passer des hits aux classiques. Pour cela il faudra de la cohérence même si, et il le fera, il y a beaucoup d’invités. Cela pourrait être intéressant qu’il fasse un album entièrement produit par un seul beatmaker pour donner une identité musicale propre à l’album. C’est clairement la fin d’un cycle pour Ninho à lui d’en ouvrir un encore plus grand.

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