BORAT 2 : L’AMÉRIQUE FACE À SA STUPIDITÉ

Alors que les élections américaines viennent tout juste de se terminer après une épopée digne d’un épisode de South Park, il est difficile de se dire que ce spectacle nous a été présenté par la première puissance mondiale. La fiction semble peu à peu dépassée par la réalité et sape l’imagination des auteurs qui n’arrivent plus à suivre. Le “Contagion” de Soderbergh est devenu un documentaire et le scénariste de GTA, Dan Houser, quitte Rockstar en expliquant que “ C’est dur d’écrire une satire dans ces conditions. Certaines choses que vous voyez aujourd’hui sont clairement au-delà. ”  Bienvenue en Amérique, le pays où on est libre (d’être con).

C’est dans ce contexte que sort par surprise la suite du génialissime “Borat” de Sacha Baron Cohen. Réalisé par Jason Woliner, mais comme pour chacun des films de cet acteur subversif on parle plutôt d’un film de Sacha Baron Cohen. Beaucoup de pression pour ce deuxième opus qui pourra difficilement être plus fou et stupide que le premier. L’acteur britannique revient avec ce film au format qui fait toute la substance de son cinéma : la caméra cachée pas vraiment cachée. C’est dans cet exercice que Sacha Baron Cohen est le meilleur, révélant par sa stupidité jouée la stupidité réelle de ses interlocuteurs. On retrouve cela notamment dans sa série “Who is america” ou dans “Brüno” et son incontournable scène du “mobilier mexicain”, hilarante et exprimant à la perfection le paradoxe identitaire Américain.

Cohen se met au goût du jour en reprenant ce personnage de journaliste kazakh des plus cons et des plus odieux. Il traite cette fois avec grand plaisir de l’ère Trump (sa mission étant de rencontrer le président) mais aussi de préoccupations actuelles comme le féminisme ( il va tenter de donner sa fille en mariage pour s’attirer les louanges du gouvernement américain). Moins fou, moins con, moins drôle que le premier, ce film n’en reste pas moins un petit bijou. Tout d’abord parce qu’il est éminemment politique et aussi parce qu’il semble absolument indispensable à son auteur. Il est en effet écrit, tourné et monté dans l’urgence, il sort notamment sur Amazon Prime pour éviter le trajet plus lent de sa sortie salle. Cette urgence découle sûrement du fait que l’auteur fait de son film un brûlot politique plus qu’assumé puisque le premier carton du générique va jusqu’à demander au peuple américain de voter. Ainsi vont s’entremêler une réalité forte, l’élection américaine approchant et ses militants d’extrême droite armés jusqu’aux dents lors d’un meeting, et une fiction des plus absurdes avec notamment cette relation père-fille dans laquelle l’affection est totalement interdite (vous avez dit absurde ?). Les vraies et fausses caméras cachées s’enchaînent et il est presque impossible de discerner le vrai du faux tant réalité et fiction sont les deux faces d’une même pièce au pays de l’entertainment.

Et c’est ainsi que ce qui était hilarant dans le premier opus devient parfois totalement effrayant dans ce deuxième épisode. On rigole quand même énormément devant ces scènes incroyables dans lesquelles Sacha Baron Cohen ose tout. En vrac, la boulangère à qui il fait écrire “Les juifs ne nous remplaceront pas” sur un gâteau ou la danse obscène entre père et fille lors d’un rallye par exemple. Parfois ce rire tourne vraiment court devant des séquences malaisantes au possible qui nous dévoilent l’Amérique sans ses fards et ses paillettes. On pense bien sûr à la scène avec l’avocat de Trump, Rudy Gulianni, qui fera beaucoup parler de ce film tant elle est dérangeante. On pense aussi à la manifestation d’extrême droite anti-confinement dans laquelle les manifestants chanteront à tue-tête “On les découpe comme des saoudiens” et où on peut apercevoir quelques saluts nazis. Encore une fois la réalité va devenir pire que la fiction puisque l’acteur va, après le tournage de la séquence, se faire poursuivre par le groupe de militants prêt à en découdre.

Enfin ce qui est fascinant c’est à quel point le film raconte notre monde durant la crise du COVID, il agit ainsi comme un miroir de notre situation. Il est en effet assez peu commun de voir un film traiter d’une crise historique aussi rapidement. On peut penser au Dictateur de Chaplin qui agissait lui aussi par son personnage absurde à révéler l’horreur derrière le dirigeant allemand, le film sortant en 1940 en plein pendant la guerre. Même logique ici, pas de recul, on regarde ce film en confinement alors qu’il nous montre le monde durant le confinement de mars. Comme un coup de fouet, il met face à nous la situation dans laquelle nous sommes plongés depuis bientôt un an. Ce qui est d’autant plus étrange c’est que tout cela paraît cependant extrêmement loin, on y voit notamment le porte parole de Trump annoncer les 15 premiers cas de Coronavirus, ce qui paraît impensable au vu de leur situation aujourd’hui. On se rend ainsi compte que l’on oublie peu à peu que le monde d’avant a existé, qu’il y a encore peu de temps tout cela relevait de la fiction. D’ailleurs ne vous est-il jamais arrivé de trouver cela étrange de voir les personnages des films et séries que vous regardez sans masque, très proches, dans des lieux bondés ? Le monde d’avant se meurt et il s’agit de ne pas l’effacer de notre mémoire.

Il en va de même des USA qui ne cessent de creuser, s’enfermant sur leur propre bêtise. Ce film a sûrement pour vocation de mettre les américains face à eux même, face à leur connerie grandissante, nourrie par la désinformation et le complot. L’Amérique ne fait plus rêver, l’American dream a été dépassé par la stupidité du monde qu’ils ont en grande partie construit et duquel ils ne veulent plus se détacher. Alors des quatres coins du monde, notre génération et les suivantes se mettent à chanter avec Alpha Wann “J’m’en bats les steaks, j’aime la Palestine j’aime pas les states”.

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