Le paradigme Guardiola (2/3) : L’hybride imparfait

Deuxième épisode de la série sur Pep Guardiola. Focus sur la période au Bayern Munich (2013-2016) de l’entraineur espagnol, entre expérimentations, beau jeu et déceptions européennes

Voir aussi : Le paradigme Guardiola (1/3) : La symphonie blaugrana

Où va signer Guardiola ? La question figure sur toutes les lèvres. Parti du Barça après quatre années ponctuées de titres et de beau jeu, le coach le plus influent de la décennie est l’homme le plus prisé de la planète. Les meilleurs équipes d’Europe lui font la cour. Les deux Manchester United et City, Chelsea, PSG, AS Roma. Cependant en coulisses, un grand a œuvré d’arrache pied pour sa venue. Et le 17 janvier 2013, le Bayern Munich officialise l’arrivée de Pep Guardiola pour trois ans à partir de juin de la même année. Un défi de poids l’attend en Bavière : Rester sur le toit de l’Europe, avec un club auréolé du premier triplé (championnat-coupe-ligue des champions) de son histoire juste quelques semaines avant sa venue.

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Une énorme pression

Tous les yeux sont rivés sur un seul homme. Absent du monde du football pendant son année sabbatique en 2012-2013, Guardiola opère son grand retour là où personne ne l’attendait. Beaucoup lui promettaient Manchester City, où deux anciens du Barça Tixi Begiristain et Ferran Soriano l’attendaient, mais Pep a préféré rejoindre les rangs du Bayern Munich avec l’ambition d’imposer ses principes de jeu dans un nouveau pays. Et à peine le pied déposé en Bavière, pleins de questions fusent autour de sa venue. Comment va -il jouer ? Arrivera t-il à évoluer sans Messi, Iniesta, Xavi ? Va t-il imposer ses idées de jeu dans un championnat basé sur la rapidité, la transition ? 

Une énorme attente pèse sur ses épaules. Il est la véritable star dans un effectif qui n’en manque pas mais aucune n’ayant réellement son aura, à tel point qu’il est mieux payé que n’importe lequel de ses joueurs. Élément très rare pour être souligné dans un milieu où les joueurs semblent avoir autant voire plus d’importance que le coach selon le club. Le board bavarois le prend avant tout pour gagner des titres tout en étant capable de proposer une belle qualité de jeu ainsi qu’une faculté pour faire progresser un effectif. Le duo exécutif d’anciennes gloires du club, Uli Hooeness et Karl-Heinz Rummennige cède aux demandes de leur nouvel entraineur afin de l’installer dans les meilleures conditions.

Tant dans la constitution de son staff principalement composé d’espagnols dans un club avec une culture locale allemande très marquée, que dans les méthodes d’entrainement avec la construction de terrains spécifiques divisés en cinq couloirs pour travailler sur le jeu de position, mais aussi dans la liberté de recrutement. Pour sa première année au Bayern, Guardiola s’offre deux maitres à jouer : Thiago Alcantara pour 25 millions d’euros qu’il a côtoyé au Barça et Mario Götze, nouvelle pépite du football allemande pris au rival Dortmund pour 37 millions d’euros. 

Pendant son année sabbatique, le tacticien espagnol a eu le temps d’identifier les forces et faiblesses d’un Bayern auréolé d’un triplé historique avant son arrivée. Pep a conscience qu’il ne pourra pas reproduire le jeu pratiqué à Barcelone, pas de Xavi, ni Iniesta, ni Messi en Bavière. Les hommes forts au Bayern se trouvent sur les ailes et se nomment Arjen Robben et Franck Ribéry. La mission s’annonce plus relevée. 

« En peu de temps, Guardiola comprend qu’il devra emprunter un chemin différent de celui qui a fat la gloire de son Barça… Il veut la possession du ballon, dominer les matches, imposer son rythme, empêcher l’adversaire de prendre de la vitesse, couper ses contre-attaques, promouvoir le jeu de passe et le mouvement permanent sans abandonner les positions, et surtout attaquer, toujours, quel que soit le scénario du match. Tout ce qu’il a abandonné, c’est le dogme canonique. Il parvient à faire jouer au Bayern un football de position plus vertical et à haute intensité. »

En se basant sur le travail accompli par son prédécesseur Jupp Heynckes sur le banc munichois, l’entraineur catalan se réinvente puis installe ses préceptes de jeu (ballon, passe, positionnement, attaque) qu’il adapte aux qualités physiques et techniques de son effectif avec une toute nouvelle importance accordée aux ailiers, élément détonant par rapport à son tiki-taka barcelonais très centré autour de l’axe avec Messi et le trio du milieu. En Allemagne, Guardiola se détache de ses années catalanes et affirme progressivement sa patte singulière au Bayern.

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Le laboratoire d’un football total

Au Barça, Pep était souvent accusé d’être doctrinaire jusqu’au boutiste. Horizontalité, tiki-taka et 4-3-3, le commun des mortels pouvait prédire à quelques exceptions qui et comment aller jouer l’équipe du génie tactique espagnol. Cependant en bavière, Guardiola transforme le Rekordmeister en véritable laboratoire du football durant ses trois années d’exercice. Systèmes à 2, 3, 4 ou 5 (23 utilisés en trois ans) défenseurs avec parfois 3, 4, 5 attaquants sur le terrain selon l’adversaire. Une flexibilité tactique que personne ne lui connaissait : possession type Barça, parfois une grosse intensité tantôt un jeu de transition propre à la Bundesliga, mais souvent de la position avec une verticalité exploitée grâce aux ailiers Coman, Douglas Costa, Ribéry, Robben. Désormais ces derniers ne rentrent plus vers l’intérieur, sous ses ordres ils doivent écarter le jeu au maximum en étant placés très près du bord de la ligne de touche et jouer le 1 vs 1, 1 vs 2 pour percer les défenses adverses par leurs dribbles, leur vitesse, afin de centrer dans la surface de réparation.  

Les latéraux qui occupaient en majeure partie ce rôle auparavant sous les ordres de Guardiola, quittent l’aile pour venir se placer au coeur du jeu. A l’image de Lahm, Bernat, Kimmich, Alaba, Rafinha, ils deviennent polyvalents en se positionnant presque comme des milieux relayeurs en aidant les milieux axiaux à contrôler la possession et ainsi mieux se prémunir face aux contres adverses. Une nouvelle invention sortie du cerveau de Guardiola. 

« La clé se trouve dans les pieds des latéraux qui, lorsque l’un a le ballon devant lui, se rapprochent des deux milieux axiaux pour former une ligne de trois qui nous protège des contres. Ainsi sécurisés, il devient possible de jouer avec cinq attaquants car ils sont bien protégés dans leur dos. », explique Pep, dans Pep Guardiola : la Métamorphose, PERARNAU Martí, 2017

Ces latéraux étaient capables de jouer à maintenant trois voire quatre postes  (latéral-défenseur central-milieu relayeur) sur le terrain. Une plurivalence qui a permis de donner un caractère imprévisible au Bayern Munich de Guardiola capable de changer plusieurs fois de système tactique et d’intervertir la position de ses joueurs dans le même match. Une similitude rappelant une certaine équipe hollandaise des années 70 pratiquant un football total avec comme star un grand élancé aux cheveux mi-longs au numéro 14. Son Bayern pratique du beau jeu, probablement jamais de son histoire, le club le plus titré d’Allemagne n’a joué un football d’une telle qualité. 

“Je dirais que le Bayern n’a jamais aussi bien joué que sous le commandement de Pep. On a toujours eu du succès mais rarement de la beauté. Sous la direction de Guardiola, on a soudainement été admirés par tous”, Karl-Heinz Rummeineige, légende et directeur du Bayern Munich, 2016. 

Guardiola a réussi à totalement métamorphoser le Bayern Munich devenu en quelques saisons un hybride du football possédant toutes les variantes du football offensif. Avec un tel niveau de jeu, l’entraineur espagnol a conquis les coeurs des supporters du Rekordmeister cependant une seule fausse note vient ternir la somptueuse philharmonie bavaroise du maestro.

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Si près…

Lors des trois saisons de Pep, le Bayern a été un rouleau compresseur sur ses terres (comme d’habitude). Vainqueur de cinq titres sur six sur la scène nationale avec le gain de trois Bundesliga d’affilée entre 2014-2016, agrémenté de deux coupes d’Allemagne en 2014 et 2016. Des statistiques affolantes : 75 % de victoires, une moyenne de 2, 46 buts/matchs avec seulement 0, 69 buts encaissés/match, et 70 % de moyenne de possession de balle. Le tout en réalisant de belles performances avec de nombreux scores fleuves infligé à ses adversaires comme le 7-0 face au Werder en 2014, 5-1 contre Dortmund en 2015 et en Ligue des Champions, le 6-1 contre Porto, 7-1 vs AS Roma ou encore le 5-1 face à Arsenal. C’est cette fameuse Ligue des Champions qui lui résiste tant, ce pourquoi les dirigeants du Bayern l’ont amené. 

Trois essais. Trois défaites en demi-finales, la première contre le Real Madrid de la Decima (0-1, 4-0), Guardiola se livre trop et se fait avoir comme un bleu par les vives contre-attaques des futurs vainqueurs de la compétition. L’année suivante, retrouvailles face à son ancien club : le FC Barcelone. Porté par une attaque de feu, la MSN (Messi-Suarez-Neymar), les Blaugranas dans un magnifique match des deux équipes tant sur le plan tactique que technique terrassent au match aller le Bayern en toute fin de match grâce à un doublé de son ancien poulain : Lionel Messi. La victoire des Bavarois 3-2 n’y changera rien. Ce Barça de Luis Enrique (disciple de Pep) a vaincu le père Guardiola, malgré tout son génie. Et seul un autre pouvait le battre, un petit argentin à qui nombreux attribuent le titre de meilleur joueur du monde voire de tous les temps. 

La dernière défaite, la plus cruelle face, encore, à une équipe espagnole : l’Atletico Madrid. Deux visions du football s’affrontent. Chacune très belle et intéressante selon notre sensibilité. Les Colchoneros incarnent un jeu défensif, solidaire et rigoureux où rien ne passe. Devant ils s’en remettent au brio du duo Griezmann-Carrasco. Le Bayern va mettre tout son coeur pour percer la muraille construite par Diego Simeone. À l’aller contre le court du match, ils perdent 1-0 à Vincente Calderon (20 tirs à 11, avec 74 % de possession). Au retour, chez eux, à l’Allianz Arena, les Bavarois assiègent la surface de réparation madrilène (33 tirs à 7 et 73 % de possession). Ça paie malgré les arrêts d’un Oblak impérial et la maladresse des attaques du champion d’Allemagne. Les hommes de Guardiola gagnent le match 2-1 mais n’arrivent pas à se qualifier à cause de la règle du but à l’extérieur concédé sur une contre-attaque éclair d’Antoine Griezmann. ​

À chaque fois, il en a fallu d’un rien. Perdant magnifique, le Bayern de Guardiola aura ébloui l’Europe par sa qualité, sa variété de jeu. Le leg qu’il laisse a été présent, l’est aujourd’hui et le sera encore dans le futur. 

« Avant Guardiola, personne ici n’avait entendu parler du jeu de position… Il n’a jamais fait partie de notre culture, contrairement à la Catalogne ou aux Pays-Bas. En Allemagne, le mot taktik (tactique) est souvent utilisé comme synonyme de défense… Si l’on va plus loin, ça signifie qu’on n’aurait besoin des tactiques que pour défendre, pas pour attaquer » Tobias Escher, Vom Libero zur Doppelsechs (Du libéro au double pivot, une histoire tactique du football allemand).

L’Allemagne championne du monde en 2014 sous les ordres de Joachim Löw a marqué par l’utilisation du gardien en libéro Manuel Neuer, goal du Bayern afin de couper les contres, ou celle de Lahm au milieu parfois, puis de Kimmich plus tard à différents postes. En Bundesliga, il y a eu un avant et un après Pep Guardiola. La nouvelle génération d’entraineurs allemands (Tuchel, Nagelsmann, Schubert) se revendique plus de Guardiola que de Klopp (entraineur allemand passé par Dortmund et maintenant à Liverpool) et son gegenpressing. Devant toujours innover à chaque match pour le contrer, de nouvelles idées ont jaillit du football allemand. La Bundesliga a autant influencé Guardiola que l’inverse. L’échange fut réciproque. Il laisse encore une marque indélébile, la sienne, dans une terre de football.

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