Le paradigme Guardiola (1/3) : La symphonie blaugrana

Premier épisode d’un dossier sur Pep Guardiola, entraineur le plus titré toujours en activité (28 titres) et considéré comme le meilleur par la qualité de jeu produite par ses équipes, sa réflexion autour du football. Retour sur sa carrière, avec le premier épisode sur son aventure barcelonaise (2008-2012).

Un homme de principes

Dogmatique ? Doctrinaire ? Que ce soit ses adorateurs ou détracteurs, un point les rassemblera sûrement : Guardiola est un homme de principes. Parfois à l’extrême, le catalan a toujours mis un point d’honneur à bien faire jouer ses équipes, à l’initiative, et créatrices de spectacle.

Enfant de la Masia (centre de formation du FC Barcelone), Guardiola a baigné dans la potion du beau jeu tout d’abord en tant que joueur (1991-2000) puis entraineur (2008-2012). Influencé lors de sa formation de coach par Bielsa, Menotti, Lillo, Pep réalise un subtil cocktail de possession, pressing, position. En reprenant les principes de jeu de son ancien coach, Johan Cruyff, il inculque de nouveau à Barcelone ce jeu de position issu de l’Ajax des années 60-70 de Rinus Michels.

« Le jeu positionnel consiste à générer supériorités de la ligne de défense contre ceux qui vous presse. Tout est beaucoup plus facile lorsque la première progression de la balle est propre »  Lillo, entraineur espagnol et mentor de Guardiola.

Autour des 3 P (possession, pressing, position) et de plusieurs systèmes préférentiels favorisant les triangles (4-3-3/ 3-4-3/ 3-3-3-1), Guardiola redonne ses lettres de noblesse au Barça d’abord sur le terrain par une qualité de jeu exceptionnel, qui se traduit toujours en fin de saison par l’obtention de trophées  (14 titres sur 19 possibles dont deux Ligues des Champions 2009, 2011 et trois Liga d’affilée entre 2009-2011). Au sein d’une des plus belles équipes de tous les temps, il révèle et aide à la progression de plusieurs joueurs : Xavi, Iniesta, Pedro, Busquets. Ce dernier réinvite le poste de sentinelle en étant organisateur de jeu plutôt que récupérateur de ballons, choix déconcertant pour le début des années 2010. Cependant parmi tous ces joueurs, un seul n’a pas été cité. Il est la cerise sur le gâteau, l’étoile au dessus du sapin : Lionel Messi.

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Un duo de génies

L’argentin débute son règne sur le football mondial réellement lors de la première saison de Guardiola au Barça. Le coach espagnol veut en faire son buteur. Il va au bout de ses idées, quitte à brusquer les égos en mettant de côté des légendes tels que Ronaldinho, Eto’o, Zlatan ou replacer sur l’aile des attaquants de métier comme Henry et David Villa afin de laisser l’axe au joyau de Rosario. Repositionné pour la première fois en faux 9 lors du classico de mai 2009, en championnat (2-6) pour le Barça au Bernabeu chez l’ennemi madrilène, Messi n’a plus bougé de ce poste sous les ordres du coach catalan.

Pierre angulaire du système de Guardiola, la Pulga devient un buteur hors pair sous les ordres du catalan (181 buts en 183 matchs, en 4 saisons). Parfois à la conclusion d’énormes phases de possession guidées par la paire Xavi-Iniesta ou de centres d’Alves, Messi se crée aussi lui-même ses buts quand la situation devient trop complexe et que seul son génie a les clés du coffre-fort. Au Barça, tout est optimisé pour faire briller le numéro 10, ses coéquipiers l’acceptent. Cependant sur la planète football, certains ont envie de stopper l’hégémonie catalane, en chef de file, Monsieur José Mourinho

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Football wars : La guerre des coachs

Guardiola – Mourinho. Une dualité rappelant Stars Wars, d’un côté Luke Skyuardiola, dernier Jedi du beau jeu. Sa mission : ramener le football du bon côté de la force via les principes de ses illustres maîtres Cruyff, Bielsa, Lillo, Menotti… Face lui, Dark Vadourinho, ancien padawan en tant qu’entraineur adjoint de Sir Bobby Robson puis de Van Gaal dans la fin des années 90 au Barça, école d’un football offensif et attractif, il va se détourner de son enseignement initial.

Grand favori à la succession de Riijkard en 2008, le board blaugrana décide finalement de prendre Guardiola. Un affront pour Mourinho, lui aussi un ancien de la maison catalane, le portugais croyant être l’élu. Nul n’en a été, afin de vaincre ceux qui l’ont trahi, il se détourne de son enseignement initial pour rejoindre le côté obscur du foot : culture tactique défensive de haut-vol, intensité, verticalité, contre-attaque, rigueur, sang-froid. Des qualités étant propres à l’Inter Milan et son catennacio (cadenas) des années 1960 de L’Empereur Palpaherrera (Helenio Herrera).

Sur le banc du club intériste, le coach portugais affronte son ennemi de toujours, Pep Guardiola dans un combat homérique lors de la double confrontation en demi-finale en Ligues des Champions en 2010. Le Barça, favori, fort de sa puissance bute sur l’Inter. Défaite 3-1 à l’aller à l’Etoile Noire San Siro, victoire 1-0 au Camp Nou mais cela ne suffit pas pour passer un Inter solidaire, rigoureux tactiquement et plein de sang-froid. Les Nerrazzuris filent en finale, qu’ils remporteront contre le Bayern (2-0).

Cette demi-finale a mis en exergue les failles d’un Barça caractérisé par une possession à outrance, le tiki-taka. Une équipe que la planète foot croyait invincible. Auteur d’un triplé (championnat-ligue des champions-coupe) avec l’Inter, Mourinho prend la tête du Real à la saison 2010/2011 pour venir affronter sur son terrain, en Espagne, son meilleur ennemi.

Entre-temps, Guardiola a évolué. Son football ressemble à une symphonie dont il est le chef d’orchestre avec Messi dans le costume du virtuose interprétant à la perfection la partition de son entraineur. À la clé, plusieurs récitals se produisent comme le 5-0 au Bernabeu, en novembre 2010, comme dans la double confrontation en demi-finale de Ligue des Champions (2-0/1-1) en 2011, et la finale de Ligue des Champions 2011. Le titre en championnat du Real en 2012 avec cette victoire 2-1 sur le Barça mettra fin à la rivalité des deux coachs ennemis, (du moins en Espagne seulement) car Pep quitte le Barca en fin de saison afin de se reposer pendant un an loin des terrains verts.

Crédit photo : AFP / Pinterest / BeSoccer

Joue la comme Pep

« La mode se démode, le style jamais » Coco Chanel

Souvent lorsque de grandes équipes marquent leur époque comme l’Ajax de Cruyff, le Santos de Pelé, la France de Platini ou le Milan de Sacchi par un style attrayant et unique de jeu, généralement d’autres veulent les copier par la suite. Ceci est arrivé au Barça de Guardiola (2008-2012), une assise sur le football mondial de quatre ans dont l’influence et l’héritage perdurent encore. La patte Pep, elle se reconnaît comme nulle autre.

Au fur et à mesure du temps, en Espagne tout d’abord, puis en Europe, plusieurs principes du coach catalan vont être repris. Relancer court depuis l’arrière, une caractéristique des équipes de Pep. Sous ses ordres, le gardien est désormais impliqué dans le jeu. Il devient la première rampe de lancement, et apporte une supériorité numérique face au pressing adverse. Le jeu au pied va s’imposer comme une norme chez les portiers de haut-niveau au fil des années.

Les côtés sont dorénavant animés par des latéraux très offensifs et placés à la hauteur des milieux comme Dani Alves, puisque les ailiers jouent souvent sur leur mauvais « faux » pied pour frapper ou rentrer vers l’intérieur. Tandis qu’au coeur du jeu, Xavi et Iniesta (1m70 chacun) prouvent qu’il n’est pas nécessaire de posséder un grand gabarit pour pouvoir y régner en maitre.

Messi repositionné en faux 9, une idée reprise par Vincente Del Bosque lors de l’Euro 2012 avec la Roja. Pas convaincu par le moindre de ses buteurs pendant la compétition européenne, l’entraineur espagnol va placer Fabregas, milieu offensif à ce poste. Une réussite dans la compétition puisque l’équipe ibérique remporte son troisième trophée d’affilée après l’Euro 2008, la Coupe du Monde 2010 en ayant pratiquant un jeu de possession similaire à celui du Barça, dû aux nombreux cadres catalans (Xavi, Iniesta, Piqué, Puyol, Busquets) entourant la sélection espagnole. Au sein de la Liga, championnat espagnol, les clubs se rapprochent aussi du style Barca, avec plus ou moins de réussite. Difficile de reproduire le jeu catalan, qui nécessite une technique optimale

“Personne n’est obligé de suivre une tendance, mais quand vous voyez l’ampleur des résultats obtenus par Guardiola, l’influence devient naturelle… Sauf que vous ne pouvez pas souhaiter jouer d’une manière identique à son ancien Barça sans posséder de joueurs similaires  ” Hector Cuper, ancien entraineur de l’Inter Milan et Valence dans une interview à So Foot, décembre 2019.

Certaines grosses écuries européennes suivent le pas, à l’image du PSG de Laurent Blanc (2013-2016), Naples de Sarri (2015-2018). Plusieurs entraineurs se réclament de son école tels que Tito Villanova, son adjoint, Luis Enrique, Erik Ten Hag, Maurizio Sarri, Joachim Low… Obtenir des titres, il l’a réalisé. Jouer très bien, aussi. L’impact de Guardiola réside t-il surtout dans la transmission de ses intentions de toujours produire un football agréable, porté vers l’avant avec des pensées novatrices, repenser intellectuellement notre sport favori ? Au-delà des trophées, l’important reste l’héritage immatériel. En football, les émotions et idées demeurent immortelles, et le Barça de Pep Guardiola nous l’a rappelé.

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