Vinyl #1: Saba – CARE FOR ME

Bienvenue sur le premier article qui lance Vinyl, une rubrique qui recensera les albums d’artistes de cette décennie, considérés comme des classiques. Il n’est pas question ici de parler forcément des plus grands albums de musique, mais des albums pouvant être reconnus comme des classiques à l’échelle de la discographie d’un artiste. Aujourd’hui nous ferons un retour sur le second album de l’artiste américain Saba, un album captivant par son énergie et sa mélancolie dans lequel l’artiste se livre à coeur ouvert sur les événements les plus marquants et les plus sombres de sa vie mais aussi sur ses craintes vis-à-vis du monde présent.

Du haut de ses 25 ans, Tahj Malik Chandler aka Saba, est un des phénomènes rap de Chicago, connu notamment pour son album Bucket List Project, sorti le 27 octobre 2016, dans lequel il parle avec beaucoup d’optimisme de ses ambitions et aspirations dans la vie, un album de 13 titres, solide et agréable à écouter. On le connaît également pour sa collaboration avec Chance The Rapper dans le son Angels, qui se trouve dans la mixtape Coloring Book de Chance.

Mais un événement majeur va ternir l’optimisme du jeune artiste et, par la même occasion, lui servir d’inspiration pour son second album CARE FOR ME, sorti le 5 avril 2018. En effet, cet album a été écrit en hommage à son cousin et ami proche Walt Long Junior alias John Walt, poignardé à mort le 8 février 2017, avec qu’il s’était allié pour fonder le groupe Pivot Gang (comprenant le frère de Saba Joseph Chilliams, le rappeur MfnMelo ou encore le chanteur et compositeur Daoud).

Un album sombre et attachant 

Entouré dans son album de membres du Pivot Gang et d’invités comme Chance The Rapper (dans LOGOUT) , theMIND et Kaïna (dans FIGHTER), le flow de Saba est totalement maîtrisé, accompagné par les prods de Daoud et DaeDaePivot, mélodieuses et agréables à écouter. Saba peut alterner entre délivré saccadé et flow nonchalant sans se forcer. Le tout en ajoutant de la profondeur dans sa voix, dans le but de nous partager ses émotions avec une plus grande intensité. L’alliance entre le rap, la soul et le jazz fonctionne parfaitement bien, comme on peut l’entendre dans GREY ou PROM/KING.

Mais en plus de cela, cet artiste confirme encore une fois son aptitude à écrire des storytellings touchants qui reflètent non seulement son quotidien, ses envies, ses regrets et sa description de la musique (qu’il voit comme un échappatoire à un milieu de vie submergé par la violence, lui-même vivant à Chicago), mais qui reflètent également notre propre quotidien. On le remarque notamment dans le son LOGOUT avec Chance The Rapper, dans lequel il parle des ravages que créent les réseaux sociaux sur les relations humaines, plus précisément sur la relation entre l’être humain et son environnement (“what’s a post but a reminder just how boring are lives a-a-a-are ?”/”Qu’est-ce qu’une publication, à part un rappel qui montre à quel point nos vies sont ennuyeuses ? ).

Ce qui est encore plus impactant dans ce projet, c’est la comparaison avec son premier album : Dans Bucket List Project, l’alliance Rap/Soul/Jazz était déjà utilisée mais les mélodies étaient plus joyeuses, avec des notes plus aigües et un Saba amusé qui certes parlait de sa vie avec une belle écriture, mais sans réelle prise de tête et plein d’optimisme. Dans cet album, les sujets comme le deuil, les questions existentielles sur la vie, les relations toxiques et la mélancolie sont parfaitement exprimés, que ce soit à travers la voix de Saba ou dans les notes de musiques plus graves (idem pour les bangers de l’album).null

Un agencement d’album très intelligent

A travers cet album, Saba place un fil conducteur, centré sur la mort de son cousin et les souvenirs qu’il a de lui jusqu’à son assassinat, sont fragmentés en 5 sons qui se suivent plus ou moins dans l’album : BUSY/SIRENS ouvre l’album avec l’expression des sentiments de Saba et de ses pensées sur le temps qui a suivi le décès de ce John Walt, son deuil, son renfermement sur lui-même, son écart des réseaux et de son entourage pendant un temps. Cette musique est suivi par PROM/KING que l’on retrouve quelques sons après, dans lequel le rappeur de Chicago nous raconte dans un premier temps son premier bal de promo et son rapprochement avec son cousin, puis dans un second temps ce que faisait Saba à son studio d’enregistrement, au moment du meurtre de Walt Jr.

Enfin, pour clôturer l’album, le son HEAVEN ALL AROUND ME, est un son qui s’écoute du point de vue de Walt au moment de sa mort. En effet, ce dernier voit déjà le paradis l’entourer et qui s’apprête à le rejoindre, ce qui boucle l’album avec le son SIRENS, dans lequel Saba parle du moment où la police est arrivée sur les lieux du crime, tout en faisant référence aux victimes de violences policières quotidiennes (et parfois mortelles) aux Etats-Unis (“Now we’re lying where the angels lay”/”Maintenant, nous sommes allongés où les anges se couchent” ).

Ce court album constitue donc un douloureux mais beau message de la part de l’artiste à son défunt cousin et à lui-même, afin qu’il n’oublie pas ses réelles aspirations et son envie d’aller de l’avant en vivant de sa passion pour la musique. Mais ce projet reste aussi un moyen pour Saba de montrer à ses fans l’importance des relations humaines, qui semblent s’éroder avec le temps et les réseaux sociaux.

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