Le paradigme Guardiola (3/3) : Ce rêve bleu (ciel)

Dernière partie du triptyque sur le paradigme Pep Guardiola. Épisode consacré à son passage à Manchester City depuis son arrivée en 2016 jusqu’à présent puisqu’il entraine encore l’équipe anglaise.

Voir aussi : Le paradigme Guardiola (1/3) : La symphonie blaugrana
Le paradigme Guardiola (2/3) : L’hybride imparfait

​Devenir grand

Courtisé depuis son passage au FC Barcelone (2008-2012) par les riches propriétaires émirats de Manchester City, Guardiola a toujours été l’entraîneur désiré par ces derniers. Ils t’ont mis en oeuvre pour l’attirer dans ses filets avec la présence  de deux anciens de la maison catalane à la direction exécutive (Txiki Begiristain, Ferran Soriano) et les pleins pouvoirs accordés tant dans le recrutement que dans le management. En Angleterre, l’entraîneur du club est souvent le manager. Ses missions ne se limitent pas seulement au cadre du terrain, elles s’étendent à toute la politique sportive du club : recrutement, choix du staff, académies, centres de formation. 

À Manchester City, Guardiola a la chance de pouvoir écrire une nouvelle histoire et de fonder une équipe, la sienne avec des fonds presque illimités. Il devient la véritable star de l’équipe par son aura, de plus il perçoit le salaire le plus élevé du club, 20 millions d’euros par an. Une autre preuve que le coach catalan est la pierre angulaire du projet citizen. L’autre équipe de Manchester a toujours vécu dans l’ombre du grand United avant l’arrivée du Cheikh Mansour. Cependant, depuis tous les millions investis, la tendance s’inverse. City a coiffé au poteau son rival pour remporter son premier titre de champion d’Angleterre, depuis 1968, en 2012 en plus de gagner quelques Coupes dont la FA Cup 2011 et la Coupe de la Ligue anglaise par deux fois en 2014 et 2016 ainsi qu’un deuxième championnat en 2014. Tandis que les Reds Devils peinent à survivre sans leur légendaire manager Sir Alex Ferguson parti à la retraite en 2013. ​

La venue du Guardiola à Manchester City est réalisée afin de pérenniser cette domination en Angleterre avec l’objectif ultime de gagner la Ligue des Champions.

Crédit photo : BFMTV

Réussir dans le pays du football

Pep a toujours été attiré par l’Outre-Manche, la terre qui a vu naître le football. La ferveur des supporters et dans les stades y est intense. Tout comme les matchs dans le championnat le plus relevé d’Europe. Par son histoire, la Premier League est marquée par une grande intensité physique de chaque instant. La possession, que prône Guardiola, n’a pas lieu d’être là-bas. Le jeu anglais, héritier du kick and rush reste avant tout basé sur des duels musclés au milieu de terrain, des transitions, de l’intensité et des seconds ballons. De ce fait, beaucoup d’observateurs semblent sceptiques quant à la réussite du nouveau coach de City. La vitesse du jeu du championnat anglais ne joue guère en sa faveur.

Pour jouer comme il l’entend, Guardiola va recruter Claudio Bravo, gardien du Barça pour ainsi assurer une relance propre dès sa surface de réparation. Choc en Angleterre puisque le portier chilien vient prendre la place du capitaine citizen et gardien des Three Lions, Joe Hart. Déjà un premier accroc majeur pour Pep face aux médias britanniques. Par la suite, ils lui reprocheront son dogmatisme, son arrogance et son refus de s’adapter au jeu anglais. Pour caricaturer, les anglais ne veulent en aucune façon recevoir des leçons de football, et même du meilleur entraîneur du monde.


Quant aux deux autres recrues importantes de l’été 2016, Leroy Sané et Ilkay Gündogan ; elles s’inscrivent totalement dans le projet de jeu de l’ancien entraîneur du Bayern puisque le premier apporte vitesse, dribble et percussion sur l’aile. Le second vient pour sa qualité de passe et son contrôle du tempo et de la possession.

Équipe-type de Manchester City en 2016-2017

La  première saison reste toutefois difficile pour Guardiola qui ne s’attendait sûrement pas à cela. Malgré des débuts très prometteurs, son jeu souffre rapidement des errements défensifs de son arrière garde (39 buts en encaissés en Premier League 2016/2017)  et d’un manque de finition de ses avants-centres. Peu habitué aux seconds ballons et contre-attaques éclairs d’équipes comme Leicester ou Chelsea, l’entraîneur catalan domine souvent ses adversaires mais ne gagne pas ses rendez-vous importants comme en Ligue des Champions où il se fait éliminé pour les mêmes erreurs par le Monaco de Mbappé en huitième de finale.

Malgré une première saison en demi-teinte, Manchester City termine troisième de la saison 2016/2017 en Premier League avec 76 points derrière le champion Chelsea, et Tottenham. Guardiola ne remporte aucun titre de l’année, une première dans sa carrière. L’entraîneur espagnol a sans doute minimisé la difficulté du jeu anglais bien différent de celui pratiqué en Allemagne ou en Espagne. Une année sabbatique après son aventure munichoise lui aurait peut-être fait du bien pour mieux analyser la Premier League et se reposer. Le métier d’entraîneur reste un métier assez éreintant où les heures de travail ne se comptent pas, auquel il faut ajouter toute la pression sportive et médiatique qui règne autour des grands clubs. Guardiola connaît désormais son effectif. Il a pu identifier les forces mais surtout les manques qui l’empêchent d’atteindre son idéal de jeu.

Kevin De Bruyne, un des hommes clés du Manchester City de Guardiola
Crédit photo: sponsoring

Un règne sans partage

La saison 2017/2018 marque un véritable tournant dans la carrière mancunienne de Guardiola. Durant l’intersaison, il a clairement identifié les manques de son équipe. Les arrivées de Mendy (57 millions), Walker (52 millions) ainsi que Laporte (65 millions) à l’intersaison hivernale viennent renforcer une arrière garde bien fragile avant cela. L’ajout d’un gardien de classe mondiale avec un bon jeu au pied en la personne d’Ederson recruté (40 millions)  complète le puzzle. Entraîneur très offensif, Guardiola a seulement recruté des défenseurs et un portier. Comme lors de ses années au Bayern, il a besoin d’avoir des latéraux avec une bonne qualité de jeu au pied pour les positionner proche de sa sentinelle au milieu de terrain. Ces latéraux inversés (Mendy et Walker avec les flèches sur la schéma ci-dessous) lui permettent d’assurer un meilleur contrôle de la possession et de mieux se prémunir face aux contres adverses. Avec tous ces éléments, Pep peut désormais produire exactement le style de jeu qu’il souhaite mettre en place. La machine est enfin lancée. 

Équipe-type de Manchester City en 2017/2018

Manchester City reflète parfaitement les idées de son coach. Les Citizens vont tout écraser sur leur passage. Invaincus jusqu’à la 23ème journée et cette défaite homérique (4-3) contre le nouveau rival Liverpool, les hommes de Guardiola impressionnent par leur qualité de jeu très léchée. Au cours de la saison 2017/2018 ils infligent de lourds revers aux membres du big 6 : 5-0 contre Liverpool, 4e journée ; 4-1 contre Tottenham, 18e journée ; 3-0 contre Arsenal, 28e journée. Champion avec 100 points, l’entraîneur catalan brise tous les records : nombre de points, plus grande différence de points avec le second (19 avec Manchester United, 2e), nombre de victoires (32), série de victoires (18). En plus du championnat, les Skyblues remportent aussi la Carabao Cup et réalisent le doublé. 

Le champion d’Angleterre redémarre la saison 2018/2019 sur les bases de la précédente, en fanfare. Cependant les coéquipiers de Kun Agüero ne sont plus seuls sur le toit de l’Angleterre. Une équipe de la Mersey affamée de titres cherche à contester le règne de Guardiola 1er. Liverpool coachée par Klopp se dispute une guerre sans merci avec son rival Manchester City. Un match va faire la différence. 21e journée, victoire 2-1 des Citizens, qui mettent fin à l’invincibilité des Reds et lancent leur reconquête pour aller chercher le titre. Comme souvent, Liverpool craque et glisse, City s’impose au finish avec 98 points devant l’équipe de Klopp terminant deuxième avec seulement un point de moins (97 points, le meilleur deuxième de l’histoire de la Premier League). 

La lutte pour le championnat fut rude, cependant avec un Bernado Silva et un Sterling éblouissant, les Skyblues ont pu conserver leur titre malgré la longue absence de leur maître à jouer, Kevin De Bruyne. Mais cette année 2018/2019 était celle de City. Aucune miette n’a été laissée à la concurrence. Gain du Community Shield, de la FA Cup, de la Carabao Cup, de championnat. Le quadruplé, tout simplement historique ! Exploit réalisé pour la première fois de l’histoire de la Premier League. Guardiola a réussi son pari de s’imposer dans le pays du football avec ses idées.

Crédit photo : Eurosport

Un rêve inaccessible

Impérial sur la scène nationale, Guardiola a du mal à transposer cette domination sur la scène européenne. Éliminé en huitième de finale face à Monaco lors de sa première année, l’entraîneur espagnol a subi un échec cuisant. Revanchard durant la saison suivante, Manchester City impressionne à tel point que de nombreux observateurs les placent parmi les favoris à la victoire finale. En quart de finale, les Citizens affrontent leur rival, Liverpool dans un duel 100% anglais. 

Au match aller à Anfield, les Reds infligent une terrible défaite aux hommes de Guardiola (3-0) en mettant en lumière toutes les faiblesses du jeu des Skyblues. Ces derniers laissent trop d’espaces dans leur dos, et n’arrivent pas à se procurer la moindre occasion. Par un pressing intense  et un réalisme plein de sang-froid, les hommes de Klopp éliminent City sur la double confrontation (5-1). 

En 2018/2019, la même chanson, encore un duel 100% anglais mais face à Tottenham, une équipe plus faible sur le papier que Liverpool. Conscient des manques de son équipe, Guardiola préfère désormais adopter une attitude plus prudente en Europe en titularisant Gundogan à la place de De Bruyne lors du match aller afin de mieux contrôler le jeu et de se prémunir des contre-attaques. Outre ce changement surprenant, l’attitude de City reste globalement neutre et sans risques. Tout le contraire de leur jeu en Premier League. 

Cette posture attentiste joue des tours à Guardiola au match aller, avec une défaite (1-0) sans s’être procuré de vrais occasions. Au retour, la folie se joint à la rencontre. Victoire 4-3. 3-2 pour City au bout de 20 min. À la dernière seconde du match, Sterling pense qualifier les siens en inscrivant le cinquième but de son équipe, mais la VAR intervient et signale une position de hors-jeu au départ de l’action. Manchester City est éliminé sur la double confrontation à cause de la règle du but à l’extérieur. 

Avec Guardiola, les  Skyblues n’ont jamais réussi à atteindre les demi-finales, stade atteint avec leur ancien entraîneur, Manuel Pellegrini lors de la saison précédant l’arrivée de Pep sur le banc citizen. Par excès de prudence ou parfois par malchance, le coach espagnol ne s’est plus imposé en Ligue des Champions depuis 2011 avec le FC Barcelone.

Pep face au nouveau football

Depuis ses débuts à Barcelone en 2008, Guardiola a globalement toujours dicté les majeures tendances en matière de tactique footballistique. Le football a changé en 12  ans. Le Barça avec un jeu basé sur la possession dominait comme nulle autre équipe, cependant la fin de cette décennie a démontré que le sport au ballon rond se dirige désormais vers une culture de l’intensité, du pressing, d’imposer des gros temps forts à l’adversaire plus que la technique qui a régné au début des années 2010 chez les grands clubs. 

Les récents succès consécutifs des Reds ont montré probablement le football à adopter pour ces futures années. Jürgen Klopp, coach de Liverpool en est le chef de file. Avec un jeu accès sur beaucoup d’intensité et un gros pressing à la perte du ballon (contr pressing), l’entraîneur allemand a réussi à atteindre deux fois d’affilée la finale de la Ligue des Champions (2018, 2019) tout en la remportant l’année dernière. 

Liverpool semble être la kryptonite de Manchester City, ou plutôt Klopp celle de Guardiola. L’ancien technicien de Dortmund possède un bilan positif face à Pep (9 victoires, 2 matchs nuls, 7 défaites). Le seul grand coach à avoir un tel ratio contre le catalan. À présent, Guardiola doit trouver les solutions pour faire face à ce nouveau football. 

Toujours en avance sur son temps, le coach espagnol a influencé la nouvelle génération d’entraîneurs : Tuchel, Negelsmann, Sarri. Son leg dans l’histoire du football est sans égal comparé aux autres coachs des années 2010, en terme de titres (29 titres), d’innovations tactiques et de jeu proposé. Guardiola appartient à la liste des entraîneurs ayant marqué l’histoire de leur sport tout comme les Michels, Sacchi, Cruyff, Ferguson, et consorts auparavant. Coach le plus influent de cette dernière décennie, le catalan a estampé de sa patte son époque. Il y a eu un avant Pep, un pendant Pep. Guardiola fut un véritable paradigme dans l’histoire du football, le dernier en date.

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