La domination des congolais dans le rap

En mars 2021, Booba déclarait au micro de France 24 : “ Les Congolais, les envahisseurs de la musique… Ils sont partout, la musique, c’est vraiment dans le sang, je ne sais ce qu’ils ont mais… c’est très fort, ils ont des mélodies ”. Damso, Gims, Ninho, Naza, SDM, Shay, Dadju, bon nombre d’artistes qui dominent les charts du rap francophone depuis les années 2010, sont congolais. Mais quelles sont les raisons de cette ultra domination des enfants de Kinshasa sur la musique ? 

Le Congo, terre de musique

Le résultat de la colonisation

Avant d’obtenir son indépendance en 1960, la République démocratique du Congo (ou RDC) était durant des dizaines d’années un territoire de l’empire colonial belge. Le roi belge Léopold II a pris possession du Congo en 1885 suite à la conférence de Berlin, où les différents puissants d’Europe se sont divisés l’Afrique en colonies. Pendant près de 80 ans, les Congolais subissent la répression et le travail forcé des colons. Dans le même temps, leurs ressources naturelles (le cuivre, l’or, le diamant) se font piller par les Belges. 

“ Montre-moi qu’une lettre au roi, bah oui (bah oui), les colonies nous ont sali (sali). Les missionnaires nous ont promis (promis) que l’or vaudrait moins que nos vies (nos vies) Douze millions de morts plus tard, on parle de dettes et de crédits (crédits). “

Damso, But en or

Au fil du temps, les Congolais s’acculturent aux traditions occidentales par l’intermédiaire des missionnaires. Ce métissage culturel continue d’être présent aujourd’hui grâce aux enfants d’immigrés congolais. Après son indépendance en 1960, la République démocratique du Congo demeure un état où la répression et la dictature font rage malgré l’interlude républicaine (1960-1965) incarné par Patrice Lumumba. 

République du Congo ou République démocratique du Congo ?
Crédit photo : Je retiens

Face à la dictature de Mobutu (1965-1997), une diaspora congolaise se créée pour rejoindre l’Occident dans l’espoir d’un avenir meilleur. En Europe, ce sont la France et la Belgique qui ont accueilli le plus d’immigrés congolais avec respectivement 64 200 et 44000 immigrés. En France, les Congolais sont surreprésentés avec 55% seulement en Île-de-France, région habitant la plupart des rappeurs.  

La rumba, vecteur de l’identité congolaise 

La rumba congolaise puise ses origines de la rumba cubaine des années 30, composée de chants et des guitares, cuivres, percussions (claves, chekeré, cajon, conga ou tumbadora). Ce dernier est un tambour d’origine congolaise d’origine bantoue servant pour les rituels. La rumba cubaine est arrivée suite à des échanges maritimes entre l’Afrique de l’ouest et Cuba, puis par une implantation des 78 tours par les épiciers grecs installés dans les quartiers indigènes du Congo.

Dans les textes, le lingala s’impose progressivement et remplace le français ou l’espagnol dans la rumba ; un aspect identitaire afin de s’éloigner de la musique coloniale et d’avoir une culture plus personnelle. Des chanteurs comme Grand Kallé font émerger le mouvement dans les années 40, mais c’est surtout dans les années 60 que la rumba congolaise connaît un véritable âge d’or avec des artistes iconiques africains comme Papa Wemba, Dr Nico… Par la suite, d’autres viennent prendre le relais à l’image de Koffi Olomidé et Fally Ipupa, qui restent toujours actifs aujourd’hui. 

Les rappeurs d’origine congolaise ont été biberonnés par leurs parents par toutes ces légendes de la musique, comme le déclarait Ninho au micro de Mouv’ en 2017Il y a eu les Koffi, Fally ou Papa Wemba, tous ces trucs que les jeunes écoutent et que mon père m’a mis dans les oreilles. ”.

L’étendu musical de la diaspora 

Les numéros 1, c’est eux 

Difficile de tous les citer tant la liste des artistes d’origine congolaise est exhaustive, mais voici déjà un petit nombre d’entre eux : Ninho, Shay, Maître Gims, Gradur, Youssoupha, Kalash Criminel, Damso, Niska, Tito Prince, Despo Rutti, Siboy, Lino, Keblack, Naza, Dadju, etc… Dans le rap francophone, aucun pays n’est autant représenté hormis peut-être l’Algérie. Cependant dans les charts et le top album, la domination des enfants de Kinshasa est hors-norme. 

La plupart des artistes congolais cités plus-haut ont tous obtenu un disque d’or, de platine ou un single d’or. Cette suprématie se retrouve aussi dans le top album SNEP annuel puisque depuis 2013, au minimum un artiste d’origine congolaise y est présent. Gims est omniprésent avec 5 présences sur 7 possibles. D’autres rappeurs issus de la RDC sont présents comme Damso (2017, 2018), Niska (2017), Dadju (2020), et Ninho (2019, 2020). 

La force des artistes congolais se trouve dans la diversité de ses talents. Avec eux, il y en a pour tous les goûts. Gims et son frère Dadju ont cette capacité de produire des hits à la pelle, tandis que Keblack et Naza savent faire danser les foules comme personne. De l’autre côté, Kalash Criminel et Siboy possèdent des textes crus et poignants posés sur de la trap, alors que Damso et Niska impressionnent par leur polyvalence. 

Musique : Gims, 10 ans de travail acharné, de succès et de certifications.  Toute une histoire (DOSSIER) - Eventsrdc.com
Crédit photo : eventsrdc.com

Faire vivre le Congo 

Dans le rap francophone, les rappeurs d’origine congolaise se sont réappropriés la musique de leurs parents de 3 différentes manières.

Les textes 

Tout d’abord, de nombreux artistes comme Gradur ou Niska utilisent des mots en lingala. Parmi eux, c’est le rappeur sevranais, Kalash Criminel qui utilise le plus sa langue natale dans son rap, avec notamment son fameux gimmick Oyoki (aussi le nom du son premier album) qui signifie “ T’as pigé “. Son compère congolais, Damso, a dans son dernier album QALF rappé en lingala sur le titre Pour l’argent. Le bruxellois fait souvent référence à son pays d’enfance dans ses textes. Parfois il y évoque la guerre comme sur Graine du SablierJ’ai grandi à l’époque des pillages. Les tirs de kalash m’empêchaient de rêver. Rebelles ennemis armés dans les parages. “ ou son attachement pour la capitale Kinshasa.  

Oh Kin la belle, tu n’sais pas combien je t’aime. RDC, ma patrie, mes gènes, pour toi, j’suis resté le même. C’qu’ils te font me fait beaucoup de peine, jusqu’à ta mort, il ne faut pas qu’tu les craignes. J’kalasherai ceux qui tiennent les rênes, quant à rumba, je déploie mes ailes. “

Damso, Kin La Belle

Damso et Kalash Criminel se sont réunis lors du titre But en Or pour dénoncer les discriminations subies et la situation actuelle au Congo par rapport à l’exploitation du coltan. “ Bien sûr que j’suis pas content (ta-ta-ta), mon pays s’fait tuer à cause du coltan ” Les deux artistes n’hésitent pas à utiliser leur notoriété pour avertir sur les pillages en RDC ou aider tout simplement leur pays d’origine grâce à la création d’associations humanitaires comme Vie sur Nous

La musique 

Au milieu des années 2010, le rap français s’est ouvert fortement aux sonorités africaines. MHD a ramené l’afro-trap, et au fur à mesure un mouvement rap / afro (à ne pas confondre avec l’afro-trap) a émergé grâce à des hits comme Sapés comme Jamais de Gims et Niska ou la Débauche de Naza. 

L’influence de la rumba congolaise se fait de plus en plus présente par la rythmique et les instruments utilisés chez les rappeurs issus de la RDC. Ninho a réussi à rendre hommage à son pays d’origine avec un feat avec l’illustre Fally Ipupa sur l’album Destin. Les feats ont permis de réaliser de réels ponts entre le Congo et l’Europe : Ninho avec Koffi Olomidé, SDM avec Fally Ipupa, Keblack avec Dadju et Fally, Damso avec Innoss’B…

Celui qui représente à merveille cette réappropriation de la musique congolaise, c’est évidemment Naza. Ce personnage atypique regorge de références en tout genre à ses aînés congolais. Son guitariste Binguy réalise un travail monumental pour retranscrire l’ambiance de la rumba congolaise dans les morceaux de l’artiste de Bomaye Music.

Le style 

Les descendants d’immigrés congolais s’approprient la musique de leurs parents dans leur style vestimentaire, dernier segment du trident. La SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes) a été inventée au Congo dans les années 1920. 

“ Tel que cela a été défini par mes anciens, c’était plutôt le bling-bling à outrance. Cela veut dire que la SAPE était représentée par quelqu’un qui avait les moyens de s’offrir des vêtements chers, des riches (…) Pendant un temps, Papa Wemba a grandement contribué à faire exporter la SAPE, en France notamment. “

Norbat de Paris, sapeur, pour Bonne Gueule

Ce goût pour l’esthétisme et le clinquant est présent chez tout congolais qui se respecte et d’autant plus chez les artistes qui ont l’argent pour s’offrir de multiples habits de marque. Le clip et le morceau Sapés comme Jamais illustrent parfaitement ce mouvement culturel.

” Je suis congolais, ma mère me laisse pas sortir de chez moi si je suis mal sapé ! “

Leto, Booska-P

Aujourd’hui, les rappeurs rivalisent d’ingéniosité pour bien s’habiller. Cependant le bon goût se cultive et mettre des vêtements signés Gucci ou Versace ne permet toujours pas à Ninho ni à Leto d’être des icônes de la mode….

 

HipHopDX France on Twitter: "Dubaï Vie. 🏝☀️ Ninho & Leto, un sacré duo.  🥂… "
Crédit photo : HiphopDX

Au fil du temps, Les rappeurs d’origine congolais ont réussi à s’imposer puis dominer le territoire musical francophone grâce à la diversité de ses talents capable de faire danser, réfléchir et ambiancer les auditeurs de rap. Le rayonnement du Congo à l’international se fait aujourd’hui grâce à la musique et la sape, deux vecteurs de l’identité congolaise, que les artistes issus de la diaspora congolaise ont réussi à se réapproprier en les modernisant. Désormais ils sont des éléments du soft-power congolais. 

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