Interview : Mangabey

Depuis quelques mois, il remixe des morceaux de rap avec de la House. Par son originalité et son sens du groove, il est l’un des DJs House du moment. Interview avec Mangabey autour de sa musique, du Jazz, du Hip-Hop et de sa carrière. 

Voir aussi : House Digger #2

Notes Urbaines : Pourrais-tu te présenter ? 

Mangabey : Je m’appelle José Fehner, pianiste et originaire de Toulouse. Depuis 8 ans, j’évolue en tant que DJ sous le nom de Mangabey. À la base je viens du monde du Hip-Hop, avant mon intérêt pour les machines électroniques, analogiques et synthétiseurs. 

N.U. : Comment as-tu débuté ta carrière de DJ ? 

M. : Je mixe depuis que j’ai 22 ans. Je fais du piano depuis mes 10 ans, et durant mon adolescence j’ai fait du jazz en groupe. Concernant le mix, c’est mon voyage à Berlin qui m’a encouragé à me lancer. J’ai réellement apprécié les codes de la musique électro là-bas, malgré le fait que j’écoutais plutôt la House de Chicago. À mon retour, avec quelques potes de Toulouse, on a monté un collectif et un label du nom de Boussole Records. On organisait aussi des soirées qui étaient assez éclectiques. Au début, tu pouvais avoir du hip-hop, puis de la new disco, ensuite de la House Jazz qui enchainait sur de la Deep House pour finir sur de la grosse Techno ! Les Toulousains ont vraiment apprécié ce côté très varié dans nos soirées. C’est à peu près à ce moment-là que je me suis mis à mixer. 

N.U. : Pourrais-tu me citer quelques-unes de tes influences musicales ?

M. : À une époque j’aimais beaucoup Glenn Astro et Max Graef, maintenant un peu moins depuis que ce dernier produit plus de la Jungle et du Lo-Fi. En ce moment j’adore les artistes hip-hop comme Knowledge. Pour finir, je te citerais Herbie Hancock pour son niveau de piano.

N.U. : Comment définirais-tu ton style ?

M. : Je suis typiquement dans la House de base, je me suis inspiré de la House de Chicago et de Detroit. J’adore cependant intégrer diverses influences à ma musique, à certains moments je vais puiser dans l’afrobeat, ou alors je peux utiliser certains accords Jazz. Je n’aime pas me restreindre à la House tout le long d’une track, j’apprécie l’improvisation et j’aime proposer des choses inhabituelles pour de la House. Je suis dans la musique électronique au sens large. 

N.U. : Quelle est ta routine de travail ?

M. : Pendant longtemps j’ai samplé, mais désormais je le fais de moins en moins. Maintenant je cherche avant tout des sonorités sur mon piano. Ensuite, je pars sur ma MPC (machine pour composer de la musique) puis sur ma TR (boite à rythme) pour les drums, avant de finir sur les synthés pour les solos. J’écoute beaucoup de musique, ce qui me permet de m’inspirer de choses très diverses (afrobeats, jazz, funk, hip-hop). À la fin, Je fais un pot pourri avec de la House ! 

N.U. : Pour toi, est-ce important pour un artiste de constamment se renouveler et d’avoir une certaine ouverture musicale ? 

M. : Oui, c’est même essentiel, c’est grâce à ça qu’un artiste sort du lot selon moi. Je vais te prendre en exemple un artiste que j’aime énormément, Floating Points. Toute sa musique est basée sur du jazz, des synthétiseurs et l’expérimentation d’éléments acoustiques comme la batterie et le piano. Il se démarque car c’est à la fois très transcendant et dansant. Les artistes qui restent trop dans leur style, ça peut être cool mais je vais me lasser à la longue si je ne constate pas d’évolution dans les références et les sonorités. 

Il y a eu une grande période sur les chaînes Youtube House où tous les sons se ressemblaient, ça s’est un peu calmé puisque le public n’arrivait pas à suivre. C’est important de se renouveler même si ce n’est pas chose aisée de prendre le temps tout en restant productif. 

N.U. : Avec l’arrivée du streaming, et la pluralité de sorties House sur YouTube, le rythme de production devient effréné, quel est ton avis dessus ? 

M. : Il faut prendre son temps, mais pas trop. J’ai passé du temps avec des artistes à qui on a demandé un morceau et 3 mois après ils n’avaient rien sorti… Tu peux être perfectionniste mais à un moment, tu dois sortir quelque chose. Mets toi à fond dessus et travailles le pendant 2-3 semaines. Il faut arriver à être efficace et rapide même si c’est compliqué à faire. La musique va très vite actuellement, et sans aucune sortie tu peux perdre ton avance et le public t’oublie assez rapidement. 

N.U : Peux-tu nous parler de ta connexion avec le label House munichois Toy Tonics ?

M. : Je suis encore chez Toy Tonics et j’ai déjà sorti 4 EPs chez eux : Chicago Memory  et Joy Kill en 2018, comprenant respectivement un remix avec Folamour et un avec Fouk, Try to Chill avec un remix de Rick Wade en 2019 et Time No More / Get Lost cette année.  

Je connaissais ce label puisque j’aimais bien ce qu’il faisait. Je les ai contactés par mail au moment où je commençais à rentrer dans une agence de booking assez importante, AKA Productions, à Paris. Par la suite, j’ai pris un café avec le gars de Toy Tonics lors d’un voyage à Berlin. On a bien discuté ensemble et le courant est bien passé, voilà un peu comment ça s’est fait. 

N.U. : Quelle a été la particularité d’avoir travaillé avec le chanteur, Kosmo Kint pour ton EP Time no more / Get Lost ?

À la base j’avais réalisé les morceaux sans lui. Ensuite, Toy Tonics m’a parlé de faire une collaboration avec lui et je me suis dit “ Pourquoi pas ”, parce que j’aime bien les artistes qui chantent sur de la House. Parmi ces artistes, on peut retrouver un ancien de la House chantée comme Robert Owens avec qui j’ai bossé, ou Peven Everett.  

Kosmo Kint est un gars super cool, avec un bon style. Il est originaire de New York mais vit désormais à Berlin. On s’est rencontré là-bas quand j’y suis allé pour mixer à l’été 2019, voilà un peu l’histoire de cette connexion. 

N.U. : On opposait souvent le Rap et la Techno auparavant, mais depuis ces dernières années, on assiste à un mélange des genres, quel est ton avis sur ça ? 

M. : Le rappeur que je préfère actuellement c’est Josman. Il intègre vachement de sonorités électroniques liées à la Techno ou à la House. Eazy-Dew, son producteur, utilise beaucoup de synthés. Aujourd’hui il y a beaucoup de métissage entre le rap et la musique électronique, c’est vraiment cool (…) aux États-Unis, Channel Tres est un artiste à suivre de ce mouvement. Il cartonne actuellement et se situe dans la même veine que Kaytranada. 

N.U. : Parles-nous de ton projet “ Dans le Club “ mélangeant Rap et House en collaboration avec la chaîne YouTube, Novaj.

M. : Le début de ce projet part d’une track de Philippe Zdar, décédé un ou deux ans auparavant. En hommage, j’avais remixé un morceau qu’il avait produit, Le Tempo de MC Solaar. Je voulais en faire quelque chose d’un peu club. Dans le monde du club, peu tentent de remixer du rap francais. Je ne dis pas que je suis novateur, mais je ne l’avais jamais entendu. 

Pendant le 1er confinement, j’avais remixé une track de Josman “J’aime bien” sortie sur la chaîne Novaj, qui a plutôt bien pris. On a discuté avec Novaj, et je me suis lancé un petit challenge de sortir tous les 20 du mois, un remix de rap français pendant le confinement. Maintenant ça fait plus de 7 mois ! (rires). Je voulais alterner entre un remix d’un son à l’ancienne et d’un son plus récent. Pour l’anecdote, j’écoute plus du rap à l’ancienne, mais grâce à ma coloc qui écoute beaucoup de rap actuel, j’ai pu découvrir de nouveaux artistes comme Dinos, Alpha Wann, etc… Le premier remix de Dans le Club a été celui d’Oxmo Puccino. Par la suite ont suivis plusieurs remix : God Bless d’Hamza et Damso, Samouraï de Shurik’n, Pistolet Rose 2 d’Alpha Wann,  Le son qui tue de Rohff, Tokarev de SCH, et Placebo de Dinos. 

N.U. : Pourquoi avoir pris la décision de sortir ton EP Illusion en septembre dernier avec le label Cracki Records ?

M. : Avec mon agence de booking, Pedro Booking, je suis affilié au label Cracki Records. Je les connaissais bien et on s’est dit “pourquoi pas sortir un EP ensemble”. J’aime vraiment le fait que ce soit un label ouvert à d’autres sonorités comme le hip-hop et la pop, ceci me permet d’avoir des affinités avec d’autres artistes qui ne sont pas de mon milieu, ce qui est forcément enrichissant. 

N.U. : Comment vis-tu la situation actuelle qui bloque le monde de la culture ? 

M. : Pour les artistes, c’est compliqué, un peu plus pour certains que pour d’autres dont je fais partie puisque j’ai le statut d’intermittent du spectacle. Heureusement les statuts sont gelés jusqu’en août 2021. (…) Tout est lié : les promoteurs, collectifs d’événementiel, les DJs, les boîtes. Tout est arrêté et malgré que ça soit compliqué avec les mesures sanitaires, je pense que l’État n’a pas bien géré la situation. Sur Lyon, certains clubs commencent déjà à fermer car ils n’ont pas la trésorerie nécessaire pour survivre à un tel manque d’activité. C’est toute la culture de la nuit qui est en train d’être détruite… C’est dur, car sur certains aspects, cette culture était difficile à intégrer et depuis 10 ans, on assistait à du mieux. On verra comment ça se passe pour la suite. 

N.U. : Pourrais-tu revenir sur le monde la nuit d’il y a 10 ans ?

M. : Pour moi, la musique électronique était ancrée dans le monde underground sans être généralisée. On a vu une ouverture avec l’apparition de musiques de club dans les publicités et les films. De 2008 à 2012, pour ma génération, ça a été un gros boom pour les clubs. Les gens écoutaient de plus en plus de musique électronique. Ce n’est pas encore au niveau du rap, on le voit par exemple au nombre de streams mais ça s’est généralisé en tout cas.

Un des remixes du projet ” Dans le Club ” de Mangabey et Novaj

N.U. : Et d’un point de vue plus musical, comment a évolué la musique électronique selon toi ?  

M. : L’évolution musicale se fait par échelon, par l’évolution des goûts et habitudes des gens qui écoutent de la Techno, et non pas par les artistes. En 2008-2012 on a eu une période électro trash que j’ai trouvé super. Ensuite, il y a eu le délire de la Dubstep, puis de la House, mais qui pour le coup n’est jamais partie. En ce moment, on voit un gros retour à la Rave 90’s, Jungle, Drum & Bass. L’évolution est très rapide, d’une année à l’autre, les gens peuvent se mettre à écouter de la techno puis du jazz.  

N.U. : Quels sont tes projets pour la suite ?

M. : J’ai encore des projets avec Cracki Records, Toy Tonics. En ce moment, j’ai un side-project plus Lofi-Hip-Hop à voir si je le sors ou pas, on verra… J’ai fait une résidence de travail au Sucre en septembre où j’ai travaillé sur un live mi-club / mi-chill avec énormément de synthés. J’ai vraiment hâte de pouvoir le jouer ! Pour la suite, j’ai beaucoup de productions grâce au confinement, je fais un son par jour. 

N.U. : Dernière question, quels artistes nous conseillerais-tu ?  

J’en ai plusieurs ! Sault, une chanteuse qui a sorti dernièrement son album Untitled (Rise) lié au mouvement Black Lives Matter. Dedans, je conseille le morceau Free. Dan Kye, il mélange très bien le jazz et la funk à la musique électronique d’aujourd’hui. Duval Timothy, un pianiste avec des ambiances très minimalistes avec son morceau Ballif. Mes deux autres influences du moment sont Space Ghost et Hanna. 

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