Interview – Chess & Wheeps : Sunken Papers

À l’occasion de la sortie de leur EP, Sunken Papers sorti le 9 décembre, entretien avec les rappeurs Chess & Wheeps autour de leur projet, de leur alchimie, leur vision du rap, etc…

Notes Urbaines : Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ? 

Chess : Rappeur, ingénieur son amateur nord-parisien. J’enregistre pas mal de rappeurs dans mon studio et je fais des compilations où je réunis plein d’artistes dont j’apprécie l’univers. 

Wheeps : Je viens du 18ème. On s’est rencontré au lycée. On rappe ensemble depuis 5 ans. Au début, on freestylait et on écrivait juste des textes, puis progressivement on a investi avec 2 autres potes dans un studio dans le 18e dirigé par Chess.

N.U. : Votre projet est sorti le vendredi 4 décembre, quels ont été les premiers retours que vous avez eu ? 

C. : Pour l’instant on a eu beaucoup de retours de notre entourage proche. Pleins de choses positives, ça fait vraiment plaisir !

W. : Les gens ont réagit sur des sons auxquels on ne s‘attendait pas forcément comme “Procédés”, un morceau rappé et relativement technique. Des sons avec beaucoup de maîtrise comme celui-ci plaisent normalement plus à un public rap assez éduqué musicalement. 

C. : C’est un son super long, t’as 4 couplets et tu ne te dis pas forcément que les gens vont prendre le temps de tout écouter, surtout maintenant. 

N.U. : Quelle est la genèse de votre travail en duo ? 

C. : J’ai commencé à rapper dans une MJC qui enregistrait les jeunes du quartier (Cepije). À cette époque-là, on ne traînait pas encore ensemble, mais on s’est retrouvé à freestyler dehors et en soirée (rires). À partir de là, on s’est vu souvent en dehors de notre cercle commun d’amis et au studio pendant de longues nuits pour faire de la musique.

N.U. : Comment avez-vous construit le projet ? 

C. : (…) Au départ pour le projet, j’ai dit à Wheeps “ Viens on fait un EP 4 titres ”, il devait sortir mi 2019. Certains sons comme CDF ont été réalisés il y a un an et demi. Avant j’avais un matériel de mauvaise qualité donc je n’étais pas totalement satisfait de mon niveau ainsi que de mon mix et de mes enregistrements. Le tout ne rendait pas très bien. 

W. : Ah il fait un peu le modeste ! Il enregistrait déjà des gars au quartier qui étaient très contents de son travail. 

C. : Du coup, le projet s’est vraiment fait sur la longueur. On a réalisé plusieurs sons avec des versions différentes. Ce fut un long chemin mais on est trop content que le projet soit enfin sorti, c’est un soulagement. 

W. : On a voulu prendre le temps de faire quelque chose dont on est fier. Je prends  l’exemple du morceau “Rues de ma ville”, c’était compliqué au niveau des droits pour avoir la prod, on a enregistré 3 versions sur 3 prods différentes en tout, cependant on savait qu’il nous fallait revenir à la version d’origine. On a réussi à l’obtenir grâce à Taemin Tekken, beatmaker lyonnais. Les sons “Andromède” et “Low” datent d’il y a 1 an et demi aussi. L’interlude a 2 ans… 

Il y a aussi des trucs plus neufs comme le bonus track – “La Matrice” avec Skank et le crew Comme Tonne, des mecs talentueux de notre quartier qui passent souvent au studio. T’as aussi “Procédés” sur une prod de HashK, qu’on a fait sur la fin du projet. 

C. : Il faut savoir qu’entre-temps je suis parti travailler en dehors de Paris pendant une bonne période. On a dû faire une pause de 6 mois pendant la construction du projet. On a eu pas mal de questionnements et de doutes pour savoir si on le sortait ou pas, d’où les 1 an et demi entre le début et la sortie de l’EP.

N.U. : Comment faites-vous pour obtenir vos prods ? 

C.& W  : On aime évoluer avec notre entourage proche : des gars super talentueux comme HashK, ingénieur son et producteur dans un grand studio parisien ;  PuSh, un beatmaker italien qui est dans la drill, il a réalisé les prod de “CDF” et “Andromède”, Papy Bresom du collectif Principe Actif sur l’intro du projet, Taemin Tekken pour “Rues de ma ville”…

Crédit : Titouan Liccia

N.U. : D’où vient le titre du projet ? 

C. : J’ai trouvé le titre du projet, Sunken Papers. On cherchait quelque chose d’original. L’idée de base était la personnification du studio dans la cave comme si c’était une imprimerie clandestine pendant la guerre, où les résistants se refilaient entre eux des tracts. 

Sunken Papers signifie les papiers cachés, enfouis sous terre. Comme le studio est dans une cave ça prend tout son sens.

W. : On reste sur le fait qu’on n’est pas exposé, du coup on fait notre art dans les souterrains. (…) Avec notre gars, Chris, qui nous a fait la cover, on a amené un délire avec les papiers déchirés et l’assemblage d’images. 

N.U. : Depuis vos débuts avez-vous déjà fait des concerts ? 

C. : On a fait beaucoup de concerts ensemble. En 2018, on a eu l’occasion de participer à Emergenza, un tremplin pour les jeunes artistes et d’aller jusqu’en finale, ça nous a permis de faire plusieurs scènes comme la Boule Noire, le New Morning ou encore le Bataclan. On adore performer sur scène. Nos potes organisent aussi des concerts, on a pas mal joué sur Saint-Ouen grâce à ça, par exemple à la Main d’Oeuvre.

W. : En concert c’est cool comme nos gars viennent en meute et mettent une vraie ambiance ! Entre les open-mics, des concerts-tremplins, des invitations par ci par là, on commence à acquérir une vraie expérience sur scène. Au début, t’as toujours un peu d’appréhension mais au fur et à mesure, tu l’oublies et maintenant les concerts c’est que du kiff ! On veut détruire ça pour nous et nos gars. On a vraiment envie de défendre notre projet.

Crédit photo : Titouan Liccia

N.U. : Quelles sont vos facilités et vos difficultés à travailler ensemble ? 

C. : En studio, ça va extrêmement vite dans la création et l’écriture du son. C’est surtout dans la post-prod où on va être très méticuleux.

W. : On ne veut rien laisser au hasard et sortir quelque chose de maîtrisé. C’est le premier projet en commun qui sort sur les plateformes, on se doit de pondre quelque chose de propre. 

C. : Dans notre travail ensemble, j’arrive facilement à trouver des top-lines (mélodies) et le frérot Wheeps peut aisément écrire un bon couplet en 10 minutes. Pour “ J’suis dans le club”, il m’a mis tellement la pression avec son refrain que j’ai dû écrire 3 couplets différents… (rires)

W. : Après sur ce son, il fallait vraiment respecter un thème particulier. J’ai gratté le couplet de ce morceau lors d’un open-bar avec des potes. J’étais au fumoir et j’avais de l’inspiration donc j’ai écrit sur mon téléphone. (…) On est dur avec nous-même, après 5 ans de travail, on connaît nos forces, donc si on doit recommencer plusieurs fois un son pour qu’il soit meilleur, on le fait ! 

N.U. : Pouvez-vous me parler du single “ Rues de ma ville “ ?  

C. : À la base, on avait posé sur une prod de Taemin, un producteur lyonnais hyper talentueux, cependant la prod n’était pas dispo, donc on a demandé à des beatmakers autour de nous de nous renvoyer des prods pour reposer le son. Néanmoins, aucune prod ne nous plaisait, de ce fait, on a demandé à Taemin Tekken si la prod initiale était toujours réservée. Finalement l’artiste qui devait poser dessus, ne l’a pas retenu, alors on a pu l’acheter et la prendre pour notre projet. 

W. : Entre la première version et la dernière, il y a eu 6 mois d’écart et entre-temps, on a reçu du nouveau matériel cet été donc on a ré-enregistré le morceau. 

C. : On a décidé de clipper “Rues de ma ville” avec l’idée de montrer une ride dans la ville avec tes potes, tu bouges un peu partout dans Paris. On a tourné à Aubervilliers mais aussi à Montmartre. Merci à Théo, P-A  et Medhi pour la réalisation ! Ce clip nous a permis de présenter notre univers et d’annoncer la sortie du projet. 

N.U. : Votre album m’a fait penser au rappeur Népal dans la manière de retranscrire un certain spleen parisien, pour vous la comparaison semble-t-elle juste ? 

C. : Elle me fait plaisir cette comparaison. Pour Wheeps et moi, et pour beaucoup d’artistes de notre génération, Népal a été un artiste qui a eu une grande influence. Ce truc de rap parisien vient aussi du fait qu’on a énormément regardé les freestyles Grünts. J’ai aussi beaucoup écouté tous les rappeurs du 18e comme la Scred Connexion, Fabe, Tsr Crew… 

W. : J’ai toujours vécu dans le 18ème et il n’y a rien de plus facile que de décrire son environnement. C’est un quartier très vivant et qui m’inspire vachement. 

C. : Dans sa globalité, le 18e a aussi un aspect artistique et multiculturel. Je me vois difficilement vivre ailleurs qu’ici. 

N.U. : Pouvez-vous évoquer vos solos respectifs ? 

W. : On a enregistré “Le chant des oiseaux” pendant le 1er confinement dans une maison à St Ouen avec une dizaine de potes. On l’a mis parce que Chess voulait vraiment mettre son solo “Hiver” dans le projet, il en fallait un de moi et le choix s’est porté sur “le chant des oiseaux” alors on a décidé d’intégrer ce son aussi dans l’EP. 

C. : “Hiver” évoque Paris l’hiver mais je l’ai écrit à Marseille cet été (rires). J’y suis très attaché car je suis vraiment fier de moi pour une fois. J’ai cette phrase dans le son “ Je réécoute le son et j’trouve ça pas terrible. ” et c’est souvent le cas. Là je suis content, il y a un bon équilibre entre la technique et le chant avec un refrain entraînant.

N.U. : Comment a été faite la Bonus track ?

C. : C’était un soir de septembre comme un autre où on était une bonne dizaine de potes complètement éméchés au studio. J’ai passé ma soirée à enregistrer tout le monde sur une prod. Le lendemain, j’avais carrément oublié qu’on l’avait fait (rires) Une semaine plus tard, je réécoute et je trouve ça bien, par la suite on a rajouté un refrain au morceau. C’est presque un Posse Cut au final ce morceau. C’est une grande satisfaction d’avoir pu inviter Skank et Comme Tonne, un rappeur et une équipe de gars très forts. Ils sont ultra talentueux. 

W. : On ne voulait pas se restreindre par la durée du son puisqu’il fait presque 7 minutes, on voulait vraiment se faire kiffer. Il y a clairement une ambiance de cypher dans le son. 

On s’est seulement dit très récemment qu’il pouvait bien s’intégrer en tant que bonus track pour la tape.

N.U. : Quels sont vos projets à venir ? 

C. : Je développe à l’heure actuelle un projet de studio mobile itinérant afin de pouvoir enregistrer des artistes dans toute la France et l’Europe. Je suis en train de travailler avec un collectif d’architectes pour l’aménagement du studio mobile. L’idée est surtout de donner l’accès à un studio à des jeunes vivant soit dans des milieux ruraux ou défavorisés, la démarche derrière ça reste avant tout sociale. 

W. : J’ai un projet solo entièrement produit avec notre gars HashK qui arrive prochainement, courant 2021. On a eu une vraie alchimie ensemble au studio. C’est un super producteur et un gars à nous. 

N.U. : Comme d’habitude pour la fin, pourriez-vous donner un artiste et un son à conseiller ? 

C : Correspondances de Fabe Ft. Al.

W: Logiciel Triste de Laylow.

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