Interview : ActionTypes – Les préférences motrices dans le sport

À l’occasion de la sortie de son livre La Bible des Préférences Motrices publié fin avril dernier, rencontre avec Bertrand Théraulaz, cofondateur d’ActionTypes autour de la naissance de son approche, de l’individualisation dans le monde du sport et de l’entreprise

Notes Urbaines : Tout d’abord, pourrais-tu te présenter ? 

Bertrand Théraulaz : Je m’appelle Bertrand Théraulaz, 59 ans, actuellement indépendant depuis 2017, après avoir travaillé pendant 17 ans à l’Office fédéral du sport à Macolin  pour la formation des entraîneurs professionnels Swiss Olympic. J’ai également dirigé le volley-ball Jeunesse et Sport en Suisse pendant 7 ans, suite à une carrière d’entraîneur de volley des niveaux juniors jusqu’aux catégories hommes et équipes nationales. 

J’ai une formation de biologie et de maître d’éducation physique avec un diplôme qui a reçu le premier prix suisse de l’éducation physique en 1994. Je suis le cofondateur de l’approche ActionTypes qui a démarré en 1989 quand j’ai commencé mes études de professeur de sport. Elle s’est concrétisée vers 1997-1999, puis nous avons pris le parti de former des gens en 2002. 

N.U. : D’où t’es venu cette passion du sport ?

B.T. : Mes parents ne bougeaient pas beaucoup au niveau sportif et, à l’adolescence j’ai ressenti ce besoin de bouger donc j’ai testé plein de sports : football, natation, tir à l’arc, échecs, voile, karaté, etc… Avec un ami d’enfance, on a démarré le volley-ball. L’aspect équipe m’a particulièrement plu, cependant avec ma taille j’étais limité au niveau professionnel, je me suis arrêté en D2 suisse. Ensuite j’ai rapidement entraîné des jeunes, j’ai toujours continué à me perfectionner jusqu’à devenir entraîneur national et entraîneur du club universitaire de Lausanne, le LUC Volley-ball qui est en première division. 

N.U. : Quelle est ta définition de l’entraîneur ?

B.T. : C’est un facilitateur, il crée les meilleures conditions possibles pour que les athlètes dont il s’occupe, puissent s’exprimer à leur niveau et se développer. Il a une expertise, mais ce n’est pas le plus important. Il développe surtout ses soft-skills afin de faire passer un message aux joueurs comme peut très bien le faire mon ami Adrian Ursea à l’OGC Nice. 

L’entraîneur doit surtout rester ouvert avec les autres, quel que soit leur objectif. (…) L’entraîneur est déjà quelqu’un qui doit bien se connaître. J’ai mis l’accent sur cela à la formation des entraîneurs à Macolin. Ils devaient apprendre à connaître leurs besoins, s’occuper d’eux-mêmes, avant d’accueillir les besoins des autres. C’est d’ailleurs une caractéristique partagée par toutes les personnes qui sont dans une relation d’aide.

Adrian Ursea, actuel entraineur de l’OGC Nice a été formé ces dernières années à l’Approche ActionTypes

N.U. : Comment est née l’approche ActionTypes ? 

B.T. : Ça a débuté en 1989 quand j’étais entraîneur national des cadets suisse, je quittais mes études de biologie pour celles d’éducation physique. J’ai eu la chance d’avoir différents mentors complémentaires qui m’ont permis d’évoluer dont : 

  • Le docteur Jean Le Boulch. Il a notamment créé la psychocinétique, ou science du mouvement humain. J’ai été très intéressé par ses travaux. Il fut aussi le tuteur du mémoire qui a reçu le premier prix en Suisse en 1994.
  • Georges-André Carrel, directeur des sports universitaires à Lausanne et un des meilleurs entraîneurs de volley-ball de l’époque, qui me suivait de près.
  • Le docteur Hicham Montasser, un médecin et instructeur de la FIFA avec qui j’ai travaillé par la suite à Macolin.
  • Jean-Pierre Egger, dont j’ai pris la succession à Macolin et qui vient de recevoir le titre de meilleur entraîneur suisse des 70 dernières années. Il a d’ailleurs réalisé la préparation physique de l’équipe de France de basket-ball qui a remporté la médaille d’argent aux Jeux olympiques de Sydney en 2000 contre la Dream Team américaine.
  • Ralph Hippolyte, à l’époque entraîneur de volley-ball de l’équipe de France féminine qui, jusqu’à aujourd’hui, a eu le plus de résultats.

J’ai réalisé mon mémoire sur la psychocinétique et la formation en volley-ball. J’avais étudié les jeunes joueurs de l’équipe nationale pour comprendre les différentes manières avec lesquelles les individus se représentaient les gestes et s’exprimaient. 

À cette époque, j’étais déjà en contact avec Ralph Hippolyte (cofondateur d’ActionTypes et ancien entraîneur de l’équipe nationale française féminine de volley-ball). Au fil du temps, j’ai continué à passer des niveaux dans la formation d’entraîneur de sport d’élite dirigée à cette époque par Jean-Pierre Egger. 

En 95, j’ai organisé un camp d’entraînement en Californie avec l’équipe suisse junior. Là-bas, celui qui nous a aidé à organiser notre séjour connaissait quelqu’un qui travaillait dans le domaine de l’individualisation. Cette personne m’a donné son livre que j’ai lu et étudié pendant mon retour en Suisse. 

Deux ans plus tard, en Californie, j’ai rencontré l’auteur du livre, Jonathan Niednagel, alors que j’étais retourné aux USA avec une autre génération de joueurs. À partir de ces informations, j’ai essayé de deviner mon profil et dès le début de notre rencontre, grâce à sa capacité d’observation, il m’a identifié, selon les critères du MBTI, en tant qu’ “ ENTP “, alors que je pensais plutôt être INTJ au vu de mes études assez scientifiques et de mes motivations profondes (éléments que je découvrirais bien plus tard) qui me rendaient plus introverti. 

Crédit photo : SP Consulting / ActionTypes

L’année suivante, j’étais dans le staff de l’équipe nationale suisse masculine de volley-ball pour aller jouer en Australie. J’avais embarqué plusieurs livres avec moi et, là-bas, la tête à l’envers, les informations se sont croisées comme par magie. J’ai été le premier à faire le lien entre la posture et les préférences cognitives avec la marche par le haut/bas et l’intuition/la sensation respectivement. Je n’avais encore aucune idée de toutes les conséquences que cette découverte allait créer par la suite. J’ai tout de suite appelé mon ami Ralph pour lui parler de cette découverte afin qu’il creuse lui aussi de son côté. Ça a fait un effet boule de neige puisqu’ensemble nous avons petit à petit découvert de nombreuses nouvelles choses. C’est principalement grâce à son génie combinatoire que tout a pu accélérer.

Par la suite, j’ai conceptualisé le neuromodèle ActionTypes vers 98-99. J’ai rencontré grâce à Internet le docteur Katherine Benziger, elle avait développé le BTSA, un assessment cognitif. J’ai passé une dizaine de jours chez elle, vers Denver, aux États-Unis, pour asseoir la partie explication scientifique. J’ai aussi suivi une formation en Angleterre avec elle. Je l’ai aussi invitée par la suite à Macolin pour intervenir dans un séminaire.

En 2000, lorsque je fus engagé à Macolin, j’avais déjà dit à mon patron qu’il me fallait garder un jour de libre par semaine pour continuer à développer l’approche. La venue quotidienne de joueurs et d’entraîneurs a permis de tester et de valider beaucoup de choses et, vers 2002, nous avons commencé à former des gens. 

N.U. : Comment se déroulent les formations pour ceux qui voudraient se former à l’approche ActionTypes ? 

B.T. : Aujourd’hui, on appelle cette formation du nom d’un métier que nous sommes en train de créer : propulseur de talents. Elle contient obligatoirement du développement personnel, c’est-à-dire une remise en question de la manière de voir les choses. Sans cela, j’estime qu’il n’y a pas de réelle formation et que ce n’est donc que de l’information. En fait, tu modifies le paradigme de réflexion de la personne en se basant prioritairement sur les points forts de l’individu: sur le “pourquoi je réussis” plutôt que sur le “pourquoi je rate” !

Source : ActionTypes Facebook

Concernant la formation, elle s’articule en cinq modules, quatre de 3 jours et un module de validation de 2 jours. Les deux premiers sont principalement consacrés à une meilleure compréhension de soi afin, au final, de mieux interagir avec les autres. Il y a un mois de pause entre les modules 1 et 2, comme il y a aussi un mois entre les modules 3 et 4, afin que les participant(e)s puissent expérimenter l’approche dans leur quotidien. Entre les deux blocs de 6 jours, il peut y avoir de deux mois à plusieurs années. Les personnes franchissant ce cap lorsqu’elles sont prêtes. Pour pouvoir utiliser officiellement l’approche et facturer ses services, les participant(e)s ont besoin de passer par un processus de validation afin d’être reconnu praticien certifié ActionTypes et donc “Propulseur de talents”.

Entre les sessions de 3 jours, il y a désormais également des coachings en ligne hebdomadaires de 1h-1h30 pour faciliter les acquis de chacun. Il y a aussi l’ATEP, rendez-vous annuel de 3 jours entre praticiens et certifiés ActionTypes, celui de cette année sera la 6e édition et se déroulera à Morges, près de Lausanne, en Suisse. 

N.U. : En quoi l’approche ActionTypes peut-elle aider les sportifs ? 

B.T. : Elle est née dans le monde du sport car nous étions entraîneurs et elle a été appliquée dans 35 sports différents, dans l’éducation, la santé et le monde de l’entreprise. Une de ses tâches est de fournir un référentiel individuel à quelqu’un pour s’exprimer pour qu’il s’exprime avec plus d’autonomie, de maîtrise et surtout plus de sens. 

Source : ActionTypes

Dans notre cas, le référentiel est interne, il est basé sur le corps de l’individu, sur ses forces, issues de sa coordination motrice. Forces qui ont des implications directes dans les domaines émotionnel et cognitif. On pense parce qu’on bouge, c’est important que les personnes comprennent comment leur corps peut leur fournir les ressources nécessaires à leur évolution. Dans chaque domaine, tout le monde peut utiliser un référentiel corporel qui lui est propre. Ayant cette référence, je vais pouvoir me rendre compte comment j’accueille les événements de la vie : un coup franc, un essai, un décès, un mariage, un examen, etc.

On a mis en évidence un système de double boucle : coordination principale et complémentaire secondaire qui forme ce que nous nommons un KiT d’expression ou KiTe. Suivant la boucle dans laquelle tu te trouves, tu ne vas pas avoir la même posture et la même technique de jeu. Si tu comprends ta dynamique d’expression, tu es capable de t’adapter constamment malgré les moments compliqués.

N.U. : On voit que l’individualisation est à la mode chez les sportifs depuis quelque temps, comment l’approche ActionTypes s’insère-t-elle dans toute cette mouvance ?

B.T. : Avec l’approche, on a initié et contribué dès 1989 à cet engouement envers l’individualisation par les préférences motrices. En Europe, nous sommes les précurseurs de cette mode. Certains s’en sont emparés avec des degrés différents de réussite, même parfois sans avoir l’honnêteté de nous mentionner et souvent sans comprendre tout le travail et le temps nécessaires au développement et à la validation de nos découvertes. C’est fréquemment le tribut à payer lorsque tu crées quelque chose d’innovant et de révolutionnaire. 

Au niveau processus, on va d’abord vérifier avec la personne si elle est prête à utiliser l’approche pour faire évoluer sa façon de réfléchir, de penser, de bouger. Ensuite, on profile la personne et on lui donne les outils pour qu’elle valide son profil. On a créé une charte du praticien afin de clarifier le cadre de référence éthique. Il s’agit d’éviter le syndrome de toute-puissance, de prise de pouvoir sur l’autre en lui disant : “ T’es comme ceci, t’es comme cela”. C’est faux déontologiquement ! Tu dois seulement dire ce que tu vois. Le praticien donne les moyens à l’athlète de valider son profil sur le terrain. L’objectif est de mettre en évidence les systèmes de forces naturelles qui existent, pas de manipuler l’autre.

On a mis en exergue 4 modes de fonctionnement. Pour nous, chaque personne les possède et peut les utiliser à tout instant, en fonction des besoins. On essaye de faire prendre conscience à l’athlète de ses forces afin qu’il tende vers une autonomie de choix de carrière, une indépendance et une maîtrise, grâce à l’intelligence de son corps. 

Notre rôle est de l’accompagner pour que ses forces se développent et que la personne puisse intégrer au mieux ses vulnérabilités. C’est inévitable dans une carrière d’avoir des hauts et des bas. Par contre, c’est la qualité du vécu de ces hauts et ces bas qui va faire la différence, grâce à l’approche tu sauras mieux te coacher toi-même à l’avenir. On travaille sur cela, que ça soit en entreprise, avec des joueurs et des équipes. 

N.U. : Ton livre vient de sortir dernièrement, quelle était l’envie derrière la création de la Bible des Préférences Motrices ? 

B.T. : Il y avait une pression externe qui nous le réclamait depuis un certain temps, mais on n’en ressentait pas le besoin d’y répondre dès le début, on aurait peut-être dû le faire comme certains nous ont volé des idées et concepts sans nous mentionner dans leurs publications. Cependant il fallait laisser le temps à l’approche de devenir adulte. J’ai décidé de l’appeler “ la Bible des préférences motrices “ pour marquer le coup afin de montrer qu’ActionTypes était un pionnier dans le domaine des préférences motrices. Cet ouvrage, composé de plus de 800 pages en couleurs, est un des plus volumineux publiés par les éditions Amphora. 

Il aurait dû sortir en 2019 déjà puisqu’il y a eu des petits problèmes juridiques et d’égo qui ont freiné la sortie mais tout est finalement rentré dans l’ordre. Finalement, notre livre sort seulement en 2021, soit 100 ans après le premier livre qui parle des types psychologiques de Jung, c’est un symbole assez intéressant. 

Crédit photo : Decitre / Amphora / ActionTypes

N.U. : Hormis le livre, quels sont les projets futurs d’ActionTypes ? 

B.T. : On accompagne la communauté des praticiens du mieux qu’on peut. Prochainement, on veut aussi rendre la formation accessible en ligne pour pouvoir réaliser du distanciel et du présentiel. Côté technologique, on cherche à développer des objets pour mesurer les variations de posture. Il y a aussi le groupe HAT (Human by ActionTypes), composé de 30 certifiés pour créer un label de qualité autour de l’approche. La traduction en anglais du livre est en cours. Pas mal de choses arrivent, 2021 est une année charnière pour nous. 

N.U. : Aurais-tu des livres à conseiller pour la fin de l’interview ? 

B.T. : J’en ai plusieurs très variés à te proposer : 

  • Vers une science du mouvement humain de Jean Le Boulch 
  • L’élément de Sir Ken Robinson
  • Le pouvoir de l’accueil de Nassrine Reza
  • La tyrannie de la norme de Todd Rose
  • La bible de la préparation physique de Pascal Prévost. 

Et bien sûr le nôtre, la Bible des Préférences Motrices aux éditions Amphora.

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One thought on “Interview : ActionTypes – Les préférences motrices dans le sport

  1. Formé et certifié ActionTypes, je peux tout simplement dire que cet article représente à merveille la philosophie de Bertrand.
    En tant qu’entraîneur de Tennis et Preparateur Mental, cette approche a réellement transformé ma façon à la fois d’enseigner mais surtout de voir le monde 🌍

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