Carton Rouge #3 : Sexisme, Canal+ et Pierre Ménès

Troisième édito de la rubrique “Carton rouge” qui revient pour donner des cartons rouges par rapport aux mauvais comportements du monde du sport. Nouvel article sur l’affaire autour du documentaire “ Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste “ de Marie Portolano. 

Voir aussi : Carton Rouge #2 – La légitimité dans le football

Un documentaire poignant 

” Comment être une femme dans un milieu composé en très grande majorité d’hommes ? ” voici la question à laquelle le documentaire ” Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste. ” essaye de répondre. Réalisé par la journaliste sportive, Marie Portolano et le rédacteur en chef de l’émission « Sport Reporter » Guillaume Priou, il est sorti le 21 mars 2021 sur les antennes de Canal+. À travers un reportage poignant, la journaliste part à la rencontre de ses consœurs exerçant à la télévision (BeIN Sports, RMC Sport, France Télévisions, Canal+, TF1) et autres (L’Équipe, Radio France). 

Leurs différents témoignages permettent de mettre le doigt sur les violences sexistes (commentaires, insinuations sexuelles, harcèlement moral ou sexuel) que subissent les femmes dans ce corps de métier assez misogyne. Ces attaques viennent de partout. Du public avec des insultes sur les réseaux sociaux, des confrères via des remarques et comportements déplacés à l’image de la déclaration au Figaro en 2018 du journaliste Denis Balbir ” Une femme qui commente le foot masculin, je suis contre. Dans une action de folie, elle va monter dans les aigus. ”

Source : L’Équipe

Qu’importe leur position (rédactrice en chef, présentatrice, chroniqueuse) dans les médias, les journalistes sportives font face à une “ culture de boy’s club “ et des blagues de comptoir. Elles sont souvent assujettis à un statut d’objet sexuel ou un rôle de potiche. 

«Un jour, lors d’un duplex, j’ai entendu dans l’oreillette un homme en régie dire «Tu crois qu’elle suce elle aussi ?» C’est violent.»

Cependant, dénoncer ces comportements a un prix. L’ancienne journaliste de France Télévisions, Clémentine Sarlat a pris la parole dans l’Équipe en avril 2020 pour afficher les comportements sexistes qu’elle a subi.  

«J’allais à Stade 2 en pleurant. Pour la préparation de l’émission, personne ne me parlait, ils m’avaient mise dans un bureau à part, loin des rédacteurs en chef (…) Du coup je n’étais pas impliquée, c’est vrai, mais j’avais l’impression d’un coup de poignard dans le dos. Surtout que le retour d’un congé maternité est une période fragile pour les femmes »

Clémentine Sarlat

Malgré un nombre grandissant de femmes dans les médias sportifs, le documentaire “ Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste “ a permis de donner la parole aux journalistes sportives. Ce reportage est courageux et utile pour les générations futures afin de prendre conscience face au sexisme. Les mots justes de Marie Portolano sonnent la fin d’un documentaire poignant ” J’espère avoir contribué à libérer la parole ; le combat sera gagné quand il sera devenu inutile d’en faire un film. ”  

Protéger le bourreau 

Le documentaire de Marie Portolano a créé une polémique suite à sa diffusion. Le journal “Les jours” a révélé que Canal+ avait censuré plusieurs scènes du reportage mettant en cause Pierre Ménès. Le journaliste de la chaîne cryptée a commis plusieurs actes d’agression sexuelle sur des femmes dont plusieurs collègues. Dans les passages censurés, lorsqu’il est confronté aux images où il embrasse de force Isabelle Moreau, Ménès ne comprend pas ses torts et dénonce le ” nouveau monde “. « C’est la société qui l’a fait évoluer, c’est la société qui lui dicte ce qu’elle dit là (…) Si tu ne peux plus faire un bisou sur la bouche à une copine… Au secours ! »

Le journal 20 minutes a aussi dévoilé dans ses colonnes que Canal+ avait déjà couvert les nombreux agissements de Pierre Ménès. Cependant la chaîne de Bolloré va faire mieux en montant une opération de communication pour sauver son animateur-star. Ménès est reçu en grande pompe à TPMP de Cyril Hanouna sur C8, une chaîne appartenant aussi à Bolloré. La mise en scène est d’un ridicule. Les chroniqueurs de TPMP lui cirent les pompes à l’image de Gilles Verdez “ Moi je connais Pierre depuis très longtemps, c’est quelqu’un qui est d’abord toujours là, je tiens à le dire, toujours là dans les mauvais moments. Mais il est à l’emporte-pièce Pierre. C’est-à-dire qu’il a des foucades, des emportements, positifs ou négatifs.

À TPMP, Le journaliste du CFC fait un mea-culpa très timide, banalise les faits et se positionne en tant que victime. Difficile de croire Ménès quand il dit travailler sur lui pour changer “ Et j’y travaille parce que la société a changé. Et ce que je pouvais me permettre il y a 10 ou 15 ans, je peux plus. Malheureusement. Je le regrette. Je le regrette parce que je me freine. Mais je peux plus me le permettre aujourd’hui. ” 

Suite au documentaire et au déferlement sur les réseaux sociaux, Pierre Ménès a simplement été mis à pied par sa direction. À titre de comparaison, Stéphane Guy avait été viré pour avoir soutenu Sébastien Thoen, renvoyé après un sketch sur Pascal Praud. Cette différence de traitement montre la dérive que prend le groupe Canal depuis l’arrivée de Vincent Bolloré à sa tête : culture du viol, impunité collective, chasse aux sorcières envers les journalistes, etc…

Il est regrettable que le débat autour du documentaire ait été rapidement centré sur Pierre Ménès, puisque le reportage ” Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ” soulève énormément de problèmes de société sur la place des femmes dans le journalisme sportif. Avoir encore à la télévision ce type de documentaire d’une telle qualité sur d’autres sujets permettrait à la longue de faire changer les mentalités. 

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