Jouer a un prix

Voilà désormais plus d’un mois que le football européen est désormais confiné. Face à cet évènement sans précédent, les instances du ballon rond s’activent en coulisses pour tenter de continuer le championnat. Présentation des enjeux autour d’une potentielle reprise de la saison de Ligue 1.

L’épidémie du coronavirus a bloqué tous les secteurs d’activité économique, y compris le football. Tous les championnats européens ont été suspendus tandis que les compétitions majeures sont reportées d’un an comme la Copa America 2020 et l’Euro 2020. Le monde du ballon rond est totalement arrêté. En France, plusieurs équipes de Ligue 1 comme Amiens SC, OL, Montpellier HSC ont mis au chômage partiel leurs employés (dirigeants, staff, joueurs). Ces derniers sont indemnisés à 70% du salaire brut tant qu’il n’excède pas 4850 euros, au delà de cette somme, les clubs ont dû trouver un accord avec eux afin de les soumettre à une baisse de salaire. Sans rentrée financière grâce à la billetterie, les ventes de maillot, la trésorerie des équipes du championnat de France souffre, en particulier celle des petits clubs qui dépendent beaucoup de l’argent des transferts et des droits TV (36% en moyenne du budget d’un club).

Ils s’élevaient à environ 700 millions d’euros en 2018-2019, dont 603 millions pour la Ligue 1, le reste pour la Ligue 2. 8,5 millions sont perçus par chaque club et une part variable selon la position dans le classement en fin de saison. Champion la saison dernière, le PSG a gagné 60 millions grâce aux droits TV, tandis que Dijon 18e en a touché 19 millions. Mais pour ce même PSG, cette somme représente un peu moins de  1/10 de son budget total (environ 637 millions), contre la moitié concernant celui de Dijon (38 millions). Un tel écart qui prouve à quel point la grande majorité des équipes de Ligue 1 dépendent essentiellement des revenus issus des droits TV.

Crédit Photo : Le Figaro / Graphique Budget des clubs de Ligue 1 en 2018/2019

Actuellement, tous les clubs de Ligue 1 sont dans l’impasse puisque les diffuseurs du championnat, Bein Sport et Canal + ne souhaitent pas honorer leurs paiements d’avril respectifs de 42 millions et 110 millions d’euros à la LFP (Ligue football professionnelle), mais quid des abonnements ? Les deux chaînes ne semblent pas enclins à les rembourser malgré l’absence totale de compétitions sportives, hors matchs rediffusés ou E-Sport sur FIFA 20 censés contenter le client. Cela reste très cher payé pour 12€/mois chez Bein et  20€/mois chez la chaîne cryptée. 

Face à ce refus de paiement des diffuseurs, les équipes de Ligue 1 ont monté un groupe de travail chargé de récupérer cet argent auprès des deux groupes de télévision. Cette escouade est menée par Nasser Al-Khelaifi, qui reçoit soudainement beaucoup de sympathie de la part de Mr Aulas, président de l’OL. Ce dernier n’a jamais cessé de critiquer le PSG depuis l’arrivée des propriétaires qataris, à cause du manque d’équité sportive du au budget des parisiens. Néanmoins, il faut rappeler au dirigeant lyonnais que le club de la capitale grâce à ses stars et son attractivité a grandement contribué à l’essor de la Ligue 1 à l’international, et donc à l’augmentation des droits TV, qui atteignent plus 1,153 milliards d’euros pour la période 2020-2024. Lyon comme tous les autres clubs de Ligue 1 bénéficie de la présence du PSG et de celle de son président, Nasser Al-Khelaifi. Mais envoyer ce dernier négocier avec les diffuseurs constitue un énorme conflit d’intérêts, puisque le numéro 1 du club parisien est aussi patron de Bein.

Cependant la LFP et les clubs ne sont absoluments pas dérangés par cela. L’important pour eux reste avant tout de toucher l’argent des fameux droits TV de la saison 2019-2020. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles les instances françaises s’agitent autant afin de terminer coûte que coûte la saison, avec ou sans supporters. Que ce soit en juillet ou août, ceci n’a pas d’importance tant que l’argent rentre dans les caisses. Et cet argent est vital à la survie économique de la majeure partie des équipes de Ligue 1. Sans lui, elles pourraient être en grande difficulté financière. Quant à la reprise, plusieurs options sont étudiées par la LFP, avec une retour potentiel de la Ligue 1, le 3 ou le 17 juin prochain.  

Suite à l’allocution du 13 avril 2020 du président Macron, il est certain que les matchs se joueront à huis clos au moins jusqu’à mi-juillet. Une décision qui ne plait en aucun cas aux groupes de supporters des équipes de Ligue 1, Ligue 2, et National qui ont présenté une tribune dans laquelle, ils expriment leur mécontentement face à une possible reprise à huis clos. « Le football ”coûte que coûte” est un football de honte, qui n’aura aucun lendemain… devenu un programme télévisuel qui a cru pouvoir se passer de stades pleins, mais qui ne peut surtout pas se passer de l’argent des diffuseurs ». 

Pour eux, il faut avant tout attendre, être patient et reprendre lorsque les conditions sanitaires et sociales seront réunies. Alors oui, le football manque à une grande partie de la population, mais le sport de haut niveau sans public n’a aucun sens comme le dit si bien Cheick Diabaté, ex-attaquant des Girondins de Bordeaux dans une interview à France Football de mars 2020. “Mais les gens, c’est le plus important. Sans les gens, ça sert à quoi le football ? Si les gens ne viennent pas au stade, si les joueurs ne sont pas sur le terrain ? Vous voulez que je joue tout seul ?.”  Sans public, les stades sonnent tellement creux, qu’il est possible d’entendre les cris des joueurs et des entraîneurs durant les matchs. Aujourd’hui le foot business se situe à un tournant de son histoire. Après avoir connu une croissance exponentielle durant ses dernières années, l’heure semble désormais être au changement de modèle économique. Et si cette crise n’était-elle finalement pas un mal pour un bien ? Un moyen de calmer certaines dérives du football actuel, probablement. Seul l’avenir nous le dira.

Carlo Ancelotti, entraîneur d’Everton « L’économie va changer à tous les niveaux. Les droits TV auront une valeur moindre, les joueurs et entraîneurs gagneront beaucoup moins, les billets coûteront moins cher parce que les gens auront moins d’argent. Préparons-nous à une contraction générale.  » Corriere dello Sport, mars 2020. 

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